Portrait // Marc Endeweld (promo 2004), un journaliste qui fait le choix de l’enquête

Publié le 13 juin 2017 dans « Portraits » Pour SCIENCES PO TOULOUSE ALUMNI

Il a enquêté sur Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon*, autant dire que les écrits de Marc Endeweld (promo 2004) ont particulièrement été mis en lumière ces derniers mois lors de la campagne présidentielle. Grand reporter au magazine Marianne, son travail le conduit à s’intéresser aux coulisses de la politique, aux affaires judiciaires et financières. Retour avec lui sur son parcours et ses motivations.

De l’intérêt pour le débat public et la vie politique, aux bancs de Sciences Po Toulouse

Après une terminale scientifique à Châteauroux (Indre) et un passage en Hypokhâgne à Tours (Indre-et-Loire), Marc Endeweld rejoint Sciences Po Toulouse pour la pluridisciplinarité du cursus et pour nourrir sa sensibilité aux questions publiques. Si comme beaucoup il a parfois regretté de ne pas pouvoir aller au fond des choses en balayant autant de domaines, aujourd’hui il dit clairement que ce parcours est un atout dans son métier de journaliste : « pour comprendre l’actualité c’est important d’avoir une vision du temps long et une culture générale sur la vie politique, le cursus à l’IEP permet cela ». C’est dans l’enceinte du 2ter rue des Puits Creusés qu’il a découvert les matières relatives au fonctionnement de l’État, que ce soit à travers le droit ou la sociologie politique. Cet apport théorique et critique a été important dans son cheminement vers le journalisme.

Un début de carrière dans le monde du journalisme en crise

C’est en réalisant de nombreux stages dans la presse régionale puis nationale, qu’il a pu se confronter aux réalités du métier. « Le journalisme provoque à la fois fascination et répulsion, mais la réalité est parfois loin de l’image d’Épinal que l’on peut en avoir », dit-il. Très tôt, il est confronté aux difficultés que connaît la presse écrite française, d’autant plus fragilisée par le boom d’Internet. Dans cette profession qui concentre beaucoup d’ambitions, il note qu’il est important de connaître ses motivations avant de s’engager dans cette voie au risque de se retrouver déçu. Être journaliste c’est parfois passer des semaines sur une enquête sans que celle-ci ne trouve un grand retentissement. Il en faut de la détermination !

Au début de sa carrière, alors pigiste, il mène en parallèle des travaux universitaires à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur le fonctionnement des médias. Il s’intéresse notamment au champ de la « presse d’opinion », et à la médiatisation du mouvement des intermittents du spectacle de 2003-2004, thème de son mémoire de DEA (équivalent à un master recherche aujourd’hui), sous la direction du sociologue Patrick Champagne.

Ses enquêtes journalistiques l’amènent également à s’intéresser au fonctionnement de France Télévisions, des chaînes d’information en continu et de l’Agence France-Presse (AFP). Ce travail en sociologie des médias, et ses enquêtes journalistiques sur un secteur des médias en pleine mutation, lui ont permis de prendre du recul sur l’organisation actuelle du journalisme :

« Je vois trois raisons qui expliquent la fragilité de la presse française et notamment de la presse écrite. D’abord une sous capitalisation historique qui remonte à la fin de la Seconde guerre mondiale et qui a conduit au rachat des titres de presse par de grands groupes. Deuxièmement la centralisation de la vie politique française qui conduit à une surfocalisation sur la vie parisienne, délaissant le traitement de l’actualité en région qui fait l’objet d’attention épisodique lors des élections présidentielles par exemple. Enfin les publications de nombreux organes de presse consistent principalement en une reprise d’informations tirées de dépêches AFP, ou de sources officielles. Il y a un déficit criant d’enquête de terrain et une surabondance de l’éditorialisation alors que via les réseaux sociaux tout à chacun est désormais en mesure d’éditorialiser son contenu. Ce qu’il manque à la presse ce sont les enquêtes et les reportages de terrain. »

Le choix de l’enquête au service de l’information des citoyens

Que ce soit par ses articles ou ses ouvrages, Marc Endeweld s’inscrit dans une tradition de la presse comme contre-pouvoir et exerçant une mission de service public à l’égard des citoyens. Ses investigations portent sur le dévoilement des rapports de force et des intérêts cachés, dans les domaines politique, économique, et médiatique.

À Marianne, il a couvert par exemple « l’affaire Bygmalion », sur les soupçons de financement illégal de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2012, mais il a également enquêté sur les secteurs de la défense, du renseignement, des relations économiques et diplomatiques entre la France et l’Arabie Saoudite, ou sur de grandes entreprises stratégiques comme Thalès ou Areva. En 2016 et 2017, il a suivi en politique les premiers pas d’Emmanuel Macron et couvert sa campagne, ainsi que celle de Jean-Luc Mélenchon.

Toute la subtilité de son travail se situe dans la nécessaire distance à maintenir vis-à-vis du pouvoir afin d’exercer un regard critique alors même que pour obtenir les informations de la part des bonnes sources une certaine proximité et une mise en confiance est nécessaire. Sciences Po Toulouse lui a permis d’acquérir les codes qui lui donnent aujourd’hui cette agilité.

Pour résumer son action au quotidien, Marc Endeweld reprend à son compte les mots de Jean-François Kahn (fondateur de l’hebdomadaire Marianne) : « le journalisme est un métier où il faut apprendre à dire non, non aux actionnaires, aux pressions et aux enjeux de communication ». En somme, l’indépendance est un combat de tous les jours ! Nul doute que l’on peut compter sur lui pour poursuivre ses enquêtes au service de l’information des citoyens.

* Marc Endeweld a publié L’Ambigu Monsieur Macron aux éditions Flammarion en 2015 et a mené l’entretien biographique avec Jean-Luc Mélenchon, Le Choix de l’insoumission, paru aux éditions du Seuil en 2016. En 2010, Marc Endeweld avait publié France Télévisions off the record, histoires secrètes d’une télé publique sous influences aux éditions Flammarion.

Portrait // Marc Villemain (promo 1996) : la plume au fil de l’eau

Publié le 23 novembre 2017 dans « Portraits » pour Sciences Po Toulouse Alumni

Écrivain et directeur de collection aux éditions du Sonneur, Marc Villemain vient de publier Il y avait des rivières infranchissables aux éditions Joëlle Losfeld / Gallimard. Dans ce recueil, il évoque les premiers émois de l’amour, de l’enfance à la fin de l’adolescence. À cette occasion, Floriane-Marielle Job a pu revenir avec lui sur sa jeunesse, son passage à Sciences Po Toulouse et son parcours, autour d’un café.

Avec ses cheveux en bataille et sa cigarette roulée à la main, Marc Villemain, diplômé de Sciences Po Toulouse en 1996, pourrait de prime abord correspondre à l’idée que l’on se fait communément d’un auteur contemporain français. Pourtant lorsqu’il parle de lui, on découvre vite qu’il est loin de coller aux stéréotypes de la scène littéraire parisienne. Cette singularité trouve sans doute ses origines dans ses plus jeunes années. Originaire d’un petit village de Charente-Maritime jouxtant la côte Atlantique, il reste très imprégné par les paysages de bord de mer et les plaisirs sans manières de la vie rurale. Son enfance est marquée notamment par la disparition précoce de son père. Loin d’être un élève modèle, Marc Villemain ne se retrouve pas dans le système scolaire et, après un passage infructueux en formation de dactylographie, quitte l’école à l’âge de seize ans. Évoquant cette époque, il se décrit comme un jeune allergique au conformisme social, un enfant qui, né en 1968, préfère délaisser les bancs de l’Éducation nationale et rejoindre l’école de la vie, où improvisation, débrouille et petits boulots sont au programme.

Un déclic se produit lorsque Antenne 2 diffuse la série documentaire Les aventures de la liberté, de Bernard-Henri Lévy, qui retrace l’évolution des intellectuels en France. Pour Marc Villemain, c’est la porte ouverte sur d’autres possibles. Le documentaire et le livre de BHL lui donnent envie de découvrir les meilleurs auteurs et attisent son goût pour la pensée, la politique, l’histoire et la littérature. Une de ses amies lui propose alors d’assister à un cours sur l’histoire des idées contemporaines à Sciences Po Toulouse. Les mots du professeur Jean Rives confortent le désir encore abstrait de rejoindre l’auditoire de l’amphithéâtre Jean Bodin. Grâce au soutien de sa mère, il reprend alors par correspondance ses études au niveau de la classe de seconde. Ses efforts seront couronnés par l’obtention du baccalauréat, puis son admission dans les premiers au concours de l’IEP. Il a alors vingt-cinq ans.

Son installation à Toulouse, au première étage du bar du Papagayo, et sa rentrée au 2 ter rue des Puits creusés, marquent un nouveau chapitre pour Marc Villemain. Fort de ses quelques années de maturité par rapport à ses camarades, il est bien décidé à saisir toutes les opportunités qui se présentent à lui. Il s’engage syndicalement au sein de UNEF-ID, dont il préside pendant un an la section au sein de l’IEP, lance avec des amis un club de débat, le Club Res Publica Pluriels, ainsi qu’une revue qu’il dirige, Itinérance. Malgré une nature plutôt timide, et l’âge aidant, il se lie d’amitié avec de nombreux camarades des trois promotions mais aussi avec des enseignants, notamment l’historien Jean Rives, avec qui il partage un même amour de la littérature et avec qui il aime converser et débattre, malgré leurs divergences politiques. Politisé, et alors qu’il est sur le point d’achever sa troisième année à l’IEP, Marc Villemain rejoint en tant que collaborateur le groupe socialiste à la mairie de Toulouse, alors tenue par Dominique Baudis. Il profite enfin de la vague rose des élections législative de 1997 pour suivre Yvette Benayoun-Nakache à l’Assemblée nationale.

Son arrivée à Paris lui permet de faire réalité de toutes ses envies : écrire à une table du Café de Flore, écouter du jazz rue des Lombards et profiter des mille promesses de la capitale. Ayant quelques années plus tôt eu un début de correspondance avec BHL, tous deux se rencontrent fréquemment, notamment au moment de l’écriture de son premier livre (Monsieur Lévy, éditions Plon, 2003), période pendant laquelle ils feront aussi ensemble le voyage pour Sarajevo, en ex-Yougoslavie.

Mais si l’écriture anime ses journées dans la capitale, c’est d’abord en tant que plume. Après un passage rapide au parlement, il rejoint le cabinet de Jean-Paul Huchon, qui vient d’emporter la région Île-de-France. Sa proximité avec la Fondation Jean-Jaurès et Gilles Finchelstein le conduit ensuite à rencontrer François Hollande, alors à la tête du Parti socialiste. Le Premier secrétaire, en quête d’une nouvelle plume, le recrute alors. En plus de la rédaction de discours et autres innombrables missions qui remplissent son quotidien, Marc Villemain s’attache à vouloir nourrir la réflexion de François Hollande. De manière anecdotique mais révélatrice, il dépose chaque matin une citation sur son bureau, afin que, dès le début de la journée, une pensée ou un mot d’esprit oriente peu ou prou la journée du Premier secrétaire et le détourne un peu des travers du jeu politique. Dans le même temps, sa proximité avec Dominique Strauss-Kahn le conduit à travailler à l’écriture de son essai La Flamme et la cendre (éditions Grasset, 2002). Mais les tractations politiques et la vie de cabinet à Solferino se révèlent trop pesantes. La campagne des européennes, puis la férocité des luttes internes lors de l’investiture pour la candidature à la mairie de Paris, finissent par l’épuiser, puis par éteindre toute envie de politique. Pour quelques temps, il redevient alors chargé de mission au Conseil régional, où il assiste notamment les élus du groupe socialiste sur les questions culturelles.

Après ses années d’engagement politique, Marc Villemain se tient aujourd’hui à l’écart de l’actualité et, depuis une petite dizaine d’années, a trouvé refuge dans la littérature. Que ce soit pour lui ou au service des autres, l’écriture occupe désormais toute sa vie. Convaincu du rôle et de la puissance des livres dans notre société, il travaille aussi comme directeur de collection aux Éditions du Sonneur, en quête de textes de qualité et soucieux du devenir de « ses » auteurs, qu’il accompagne aussi longtemps que possible.

Sa plume a quant à elle évolué au fil du temps. S’il décrit ses tout premiers textes comme trop imprégnés encore des principes de la littérature d’idées, il embrasse désormais des chemins plus strictement littéraires et dit travailler avant tout à partir de sensations. Sa femme, qui est aussi sa première lectrice, lui offre un soutien décisif dans son entreprise de création.

Lorsque Marc Villemain parle de son processus d’écriture, je ne peux m’empêcher de penser qu’il est à l’image de son parcours singulier : connaissant le point de départ mais jamais l’issue de son récit, il se laisse guider par ses personnages avec confiance. Il y avait des rivières infranchissables, son nouveau livre, est un recueil de nouvelles nourries aux souvenirs de sa jeunesse, de ses atmosphères maritimes et de son imaginaire. Il résonne dans le cœur du lecteur, qui y retrouvera la pureté et la confusion des premiers émois amoureux, ceux qui, peut-être, permirent de trouver le grand amour…