Presse // Qui est Floriane-Marielle Job, 29 ans et déjà directrice du tiers-lieu Puzzle ?

Article publié par l’hebdomadaire La Semaine à retrouver en ligne.

Par Pierre Théobald sur 7 mai 2021 Lorraine Nord, Société, Crédit photo La Semaine

Même pas 30 ans et déjà trois ans qu’elle pilote Puzzle, ce tiers-lieu hybride qui contribue au rayonnement de Thionville, comparable pour elle à un « organisme vivant ». La crise sanitaire n’a rien terni de son enthousiasme, de ses envies. Et pour cause : en ces murs, Floriane-Marielle Job continue de poursuivre ses rêves de gosse.

La question nous brûle les joues, alors arrive un moment, automatiquement, où elle nous échappe. Votre âge, Floriane-Marielle… Tout de même, votre âge… On n’a pas poussé le devoir professionnel jusqu’à déclencher des investigations plus minutieuses mais elles ne doivent pas être légion, dans le pays, les jeunes femmes de moins de 30 ans portées au gouvernail d’un équipement de la dimension et de l’aura multidimensionnelle de Puzzle, paquebot-écrin de 4 500 mètres carrés dévolus au va-et-vient du public – 5 000 en y ajoutant la partie administration – digérant jusqu’à 3 000 visiteurs journaliers en dehors des périodes pandémiques. Elle avait 26 ans quand elle s’est ancrée ici, en 2018. Elle en a 29 en ce printemps, et balaie la question d’un de ces rires qui invitent à la suivre, sans résistance : « J’avais roulé ma bosse avant de postuler, c’est ce qui m’a donné confiance. Et envie. Si on ne tente pas sa chance au moment où l’on arrive dans le monde professionnel en étant emplie d’énergie… » Dans son bureau vêtu de blanc où elle reçoit, un masque sur le nez, la prunelle aux aguets, la phrase se poursuit sans elle, évidente. Au fond c’est un peu ça, son parcours : une histoire d’évidence dont le déroulé devait la conduire jusqu’ici. Même en avance, très en avance, sur les temps de passage.

Floriane-Marielle Job est non seulement lorraine, mais également meusienne, et c’est le terreau de toutes ses vocations. Son enfance en territoire rural, elle pourrait se satisfaire de la regarder passer. Elle la traverse, la sublime, sans jamais cesser de glisser le nez à la fenêtre. « Je passais ma vie dans les bibliothèques, les expos, des ateliers de danse… » Certes, ses parents ont toujours manifesté une curiosité pour toute chose et, chez elle, on a constamment « bidouillé » tout un tas de trucs, « on créait, on fabriquait » : sculpture, bricolage, jardinage, cuisine… Mais elle, Floriane-Marielle, c’est encore différent. Au fond d’elle, une flamme. Qui déjà brille. Et brûle. Alors, la culture. Les cultures. Incandescentes. « L’école a joué un rôle important. »

Des finances publiques à la culture

La voix est claire, une autoroute. Les mots choisis, elle sait leur portée. On le devine à l’écouter en ce midi éclaboussé de lumière pailletée de doré : l’école comme plus tard les études, elle a adoré s’y plonger. Étudiante, elle opte pour Sciences Po, à Toulouse. Elle a soif de service public. S’oriente vers les finances publiques. Séquence initiatique dont, aujourd’hui, elle dit qu’elle représente « un atout ». Se pose, quand même, à un moment. Se gratte la tête. Réfléchit. Repense à la gamine qu’elle a été, celle qui s’empiffrait de lectures et d’émerveillements. « Je me suis demandé : “Est-ce que tu avais envie d’être inspectrice des finances publiques à 15 ans ?” ». De là, bifurcation. Plus que ça, même : un virage à l’équerre. Sur une impulsion, elle ambitionne et réussit le concours de conservateur territorial des bibliothèques. Sans préparation. « Presque sans préparation, oui… » Elle le souffle du bout des lèvres, un demi-ton en dessous, rectifie sa frange, range ses cheveux, faudrait pas donner à croire qu’elle est là pour rouler des mécaniques. S’ensuit un compagnonnage long de dix-huit mois au sein de l’Institut national des études territoriales (Inet) et d’« une promo extraordinaire ». Dunkerque, Toulouse, Pantin, le Haut-Rhin… Une existence sur les rails. Elle s’inflige 80 000 kilomètres en train sur la période, à l’issue de quoi « on est armé pour diriger un lieu culturel ». Les finances publiques, Sciences Po, ce chapitre dont elle a tourné les pages ? Tout n’est pas si loin derrière elle, des contacts demeurent avec ses anciens camarades de promo : « Beaucoup sont à présent dans des cabinets ministériels, d’autres ont monté leur boîte ou travaillent comme cadres dans la fonction publique. Toute une richesse de parcours. » Richesse qu’elle enseigne à son tour lors des cours dispensés à Sciences Po Strasbourg. « La transmission », c’est un moteur.

Richesse dont elle a fait un atout, aussi, au moment de postuler à la direction de Puzzle. Elle se remémore le jour où elle s’est présentée à l’entretien d’embauche : « Je me suis dit : “Wow… C’est peut-être ici que je vais travailler.” Puis le regard acéré du professionnel a pris le relais, et j’ai commencé à discerner ce qui pouvait être amélioré. » Un rire, à nouveau. Un souvenir, encore, celui d’« un accueil chaleureux », d’« un alignement des planètes », comme elle dit, coïncidant avec sa prise de fonctions. Puzzle, elle connaissait bien sûr avant même d’y tenir un rôle – le premier. De loin en loin, c’est un projet qu’elle avait suivi du coin de l’œil. Qui l’émoustillait. Qui cochait toutes les cases en matière d’épanouissement : « Je voulais un lieu pluridisciplinaire, avec une dimension internationale, dans une ville où je pouvais me déplacer à pied. » Elle a réussi son grand chelem. Sans considérer que la partie est pliée : « On est ici dans un lieu hybride, c’est un organisme vivant, il y a toujours une cellule qui en bougeant modifie tout l’écosystème. Ce qui fait que l’on n’a jamais de réponses de manière définitive. » La crise sanitaire, par-dessus le marché, a transformé le climat. Floriane-Marielle Job suggère une visite. On suit ses pas. Ici, la médiathèque, aérée. Là, l’espace expositions. Plus loin, des îlots de création, un studio d’enregistrement, un espace « gaming »… Elle ouvre chaque porte, fait tinter son trousseau de clés. Peu de visiteurs. À cause du virus, certains sont dissuadés. « Mais les gens vont revenir. » Au fond des yeux, une certitude.

Lire et nager

Quant à elle, elle ne regarde guère plus loin que l’horizon des réouvertures promises. Elle souhaite encore améliorer la scénographie de Puzzle et programmer pour la prochaine saison des entretiens avec des grands témoins capables d’éclairer les recoins pénibles de notre époque. La suite, elle verra. Sa carrière s’est élancée en tapant très vite, très fort. « Je ne me suis pas facilité la vie, j’avoue. Si prochaine étape il y a, il ne faudra pas la rater. » On stoppe là dans les projections. Sauf à imaginer à sa place qu’un jour, elle écrira. Elle publiera. Un roman jeunesse, c’est à parier. Écrivaine, oui, pourquoi pas. En hommage à la fillette qu’elle était : « Lorsqu’on apprend à lire, c’est comme lorsqu’on apprend à nager. Tout devient possible. À l’époque, j’ai pensé que c’était le plus beau métier du monde. » Floriane-Marielle Job a plein, plein d’histoires à raconter.

Presse // Portrait du réseau #12 – Floriane-Marielle Job

Publié le par Sciences Po Féminin

« La pratique artistique me permet de me sentir inspirée, de m’ouvrir au monde et c’est cela que j’ai envie de transmettre dans le pilotage de politiques culturelles »

Floriane-Marielle Job est diplômée de Sciences Po Toulouse en 2015 après un master en affaires publiques. Elle est directrice d’un tiers-lieu culturel à Thionville (Moselle) et rédige des articles sur son blog « La boîte à idées du manager culturel ». Elle donne aussi des formations, à l’IEP de Strasbourg ou chez idealCO où elle est intervenue grâce au réseau SPAF, et est également membre du bureau de l’association de diplômés de son IEP d’origine.

Pouvez-vous me détailler ce qu’est ce tiers-lieu culturel à Thionville ?


C’est un lieu de vie au cœur de la ville où chacun peut avoir accès à une offre culturelle riche : lectures publiques, expositions d’art contemporain et numérique, ateliers de familiarisation au numérique et d’inclusion numérique, ateliers d’art plastique avec l’association hébergée dans nos murs. C’est la singularité et l’intérêt du projet qui m’ont donné envie d’y travailler. 

Pourquoi vous êtes-vous orientée vers la culture ?

L’art, la créativité et la culture au sens large ont toujours nourri mon quotidien. Créer et rencontrer le beau sans se poser la question de l’utilité est, selon moi, ce qui nous rend humain. J’ai toujours eu une pratique artistique, elle me permet de me sentir inspirée, de m’ouvrir au monde et c’est cela que j’ai envie de transmettre dans le pilotage de politiques culturelles. La part grandissante de nos pratiques numériques au quotidien vient également bouleverser notre rapport à la culture, je trouve ce positionnement à la croisée des chemins entre art et technologie riche de possibles. 

Quelle est la place des femmes dans ce domaine ? 

Les métiers de la culture sont fortement féminisés mais comme beaucoup de secteurs les postes stratégiques ne connaissent pas toujours la même parité. Être une femme jeune dans un poste de direction n’est pas un positionnement forcément évident et il faut trouver et défendre sa voix. J’ai la chance de pouvoir collaborer avec beaucoup de femmes directrices au niveau local comme national et je trouve une très grande richesse dans ces échanges. 

Pouvez-vous me parler de votre intervention en juin chez idealCO, une plateforme de formations en ligne à destination du secteur public ?

Je suis intervenue chez idealCO autour de la conduite des politiques culturelles. J’ai pris contact avec Mathilde, trésorière de Sciences Po au Féminin et responsable du pôle experts chez idealCO, à la suite d’une publication sur le groupe d’échanges de l’association. J’ai trouvé la démarche de la structure intéressante. Je pense que la période actuelle a prouvé la nécessité de repenser nos modes de formation professionnelle et que les structures ayant intégré les pratiques numériques ont prouvé qu’elles étaient plus réactives et adaptables aux changements de contexte. 

Qu’attendiez-vous du réseau SPAF ?

Il est bon de pouvoir partager et échanger sur les inégalités et les difficultés qui diffèrent selon qu’on est une femme ou un homme. J’ai rejoint le réseau surtout pour entendre toutes ces voix de femmes dans leurs différents domaines. Je ne pensais pas en bénéficier professionnellement parlant. J’ai été très agréablement surprise de voir les offres et échanges sur la page Linkedin de l’association. 

Auriez-vous des conseils pour des étudiantes qui voudraient s’orienter vers la culture ?

La culture est un domaine très large avec différentes carrières possibles. Ce sont de beaux métiers car souvent des métiers de passion.  Cela va malheureusement souvent de pair avec des longues semaines de travail et une politique salariale moins dynamique que dans d’autres secteurs. Les risques de désillusion existent mais les formations des IEP permettent d’avoir un bagage solide sur les aspects administratifs, de communication, de gestion de projet et de liens avec l’international. Je pense que les étudiantes des IEP qui souhaitent s’orienter vers ces carrières ont toutes leurs chances.