Keren Detton, directrice du Frac Grand Large – Hauts-de-France
Passant la plupart de mon temps à arpenter la France grâce aux bons et loyaux services de la SNCF, je me suis dit que c’était l’occasion rêvée pour partir à la découverte de lieux culturels qui valent le détour et d’ainsi rencontrer les personnes qui en ont la responsabilité. C’est donc ce que j’ai fait lorsque je me suis rendue au septentrion de la métropole…
Laissez-moi vous raconter brièvement mon histoire avec Dunkerque. Je suis venue la première fois dans cette ville pour commencer ma formation de conservatrice de bibliothèques. Après avoir passé plusieurs années à Toulouse puis à Paris, l’idée de rejoindre l’extrémité nord ne m’enchantait guère. Peut-être que cet a priori principiel a participé à l’agréable surprise qui a suivi mon arrivée. Il y a, à Dunkerque, une scène culturelle vivante encore peu connue : scène nationale, réseau de lecture publique récompensé par la profession, Learning center, lieux de création, salles de concerts, musées et lieux de médiation…
A l’occasion d’un retour en forme d’anniversaire sur les terres dunkerquoises, j’ai souhaité rencontrer des personnes qui incarnent ce dynamisme artistique et culturel. A travers ces échanges, je souhaite vous faire partager la sincérité de leur engagement et découvrir ce qui les inspire dans leurs actions au quotidien afin de développer une offre culturelle accessible au plus grand nombre.
A peine sortie du train, ma première rencontre au programme fut avec Keren Detton, directrice du Fonds régional d’art contemporain (Frac) Grand Large – Hauts-de-France. Commissaire d’exposition, issue d’une formation en histoire de l’art à l’École du Louvre et à la Sorbonne-Paris 1, elle a également suivi la formation curatoriale de l’Ecole du MAGASIN de Grenoble. Elle a précédemment travaillé pour la galerie Air de Paris (2005-2009) avant de diriger le centre d’art contemporain Le Quartier à Quimper (2009-2016). Arrivée à Dunkerque en avril 2016, Keren Detton a impulsé sa première programmation en 2017 en mettant en avant les spécificités de la collection orientée vers le design et les œuvres socialement engagées. Après une année d’apprivoisement avec ce lieu magistral situé en front de mer, j’ai pu échanger avec elle sur sa vision du métier de directeur d’un établissement culturel.
Quelle est l’œuvre qui vous inspire le plus ?
Il n’y a pas une seule œuvre, cela change en fonction de différents facteurs. Et je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles œuvres. Par exemple, en ce moment je m’intéresse à un sujet d’actualité, la place du travail dans la société, et j’ai invité le commissaire d’exposition Arnaud Dejeammes à y travailler avec moi. Nous avons alors découvert que l’œuvre de Liam Gillick « 1848 » n’avait jamais été exposée et qu’elle était très peu documentée. Nous avons commencé une véritable enquête, en interrogeant l’artiste mais aussi des historiens spécialistes de cette période. Elle est ainsi devenue le point de départ d’une exposition qui débutera en septembre 2018.
Autre exemple, c’est de manière fortuite, à l’occasion d’une donation au Frac, que j’ai découvert le travail de l’artiste dunkerquoise Christine Deknuydt (1967-2000). J’ai été saisie par la matérialité de son dessin et la poésie de ses carnets. Son travail m’a conduite à regarder autrement certaines œuvres historiques de la collection.
Le contexte joue aussi un rôle important. Il y a la collection du Frac Grand Large, et notamment la richesse de son fonds dévolu au Design, mais il y aussi son nouveau bâtiment dessiné par les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Avec sa transparence et son ouverture sur la mer, les œuvres s’y révèlent sous un jour différent. C’est aussi une œuvre en soi, construite avec des matériaux humbles normalement utilisés pour la réalisation de serres de jardin. Grâce à sa structure en double peau faisant circuler l’air, il est à la fois économique et écologique. Il vient d’ailleurs de recevoir un grand prix international d’architecture (BigMat 2017).
Quelles sont les qualités nécessaires pour votre travail au quotidien ?
A l’image du bâtiment, figure de proue ouverte à l’horizon, je crois qu’il est essentiel de cultiver une porosité avec les réalités du territoire, d’être dans un va-et-vient permanent avec l’extérieur.
Il y a la collaboration avec des partenaires très différents, des écoles, des musées, des centres sociaux et des universités. La discussion et l’échange permettent d’associer étroitement les artistes au projet, de favoriser des approches pluridisciplinaires et d’impliquer les visiteurs en mettant en avant leurs propres regards.
Le Frac fonctionne comme une véritable interface avec les publics et la collection est le pivot de ces rencontres. Pour que l’alchimie se crée, il est important de faire place à l’inattendu.
Au quotidien, qu’est-ce qui vous aide à relever les défis managériaux ?
S’il n’y a pas d’équipe, il n’y a pas de projet. Aussi l’envie de fédérer est essentielle car l’action du Frac est une œuvre collective.
Comment faire en sorte de développer une offre culturelle adaptée sur votre territoire ?
Il faut que des liens de confiance s’établissent avec les partenaires pour pouvoir développer les projets de manière collaborative et que l’offre corresponde à de réels besoins. Les projets que nous développons nécessitent une part humaine importante d’échange et de médiation. Ils impliquent que l’on se déplace à la rencontre des publics mais aussi de s’appuyer sur différents relais. L’Éducation nationale est un partenaire de choix, ainsi que le Frac Picardie, situé à Amiens et spécialisé dans le dessin, avec qui nous collaborons étroitement. La collection du Frac est un bien commun qui doit sans cesse réinventer ses publics – et non les cataloguer.
Comment imaginez-vous le futur pour le Frac ?
Toujours plus ancré dans son territoire et relié au monde pour témoigner de la diversité des approches artistiques et partager des sensibilités.
Qu’est-ce qui nourrit votre créativité ?
C’est la polyphonie autour des œuvres. Elle s’exprime à travers des lectures, des discussions, des sensations. C’est aussi les rencontres avec les artistes. J’aime découvrir leurs œuvres, leurs manières de travailler, me projeter dans leurs propositions et imaginer comment « rendre public » leur travail.
Les belles idées vues au Frac Grand Large – Hauts-de-France :
- la matérialisation du travail autour de la collection par le biais du Bureau de la collection qui permet au visiteur de mieux comprendre le rôle des Frac et de connaître les différentes parties prenantes, notamment le comité d’acquisition.
- l’ouverture de l’espace pédagogique pour y loger des restitutions d’ateliers
- la restitution du dialogue avec les artistes à travers la diffusion d’entretiens filmés dans le hall d’exposition,
- le commissariat d’exposition confié à des enfants grâce au partenariat avec la Maison des enfants de la Côte d’Opale.
Crédits photo :
Frac : Frac Grand Large — Hauts-de-France, bâtiment conçu par Anne Lacaton et Philippe Vassal, 2016, Dunkerque (France) © Frac Grand Large — Hauts-de-France
Portrait :© Ville de Dunkerque