J’ai toujours entretenu des rapports ambigus avec internet. J’oscille entre fascination par cette ouverture sans précédant du champ des possibles et crainte quant aux dangers que peut comporter ce nouveau média : vampirisation du temps, uniformisation et simplification de la pensée, diffusion de fausses informations.
Je dirais que je suis plutôt une grande consommatrice de contenus internet. Les blogs, les vidéos YouTube, les podcasts et les comptes Instagram sont pour moi des sources d’information et de découverte de sujets parfois encore peu traités dans les médias. Cependant face à la place de plus en plus grande que prend le marketing d’influence, c’est-à-dire le sponsoring de contenus créés par ceux que l’on appelle désormais les influencers, je me suis interrogée sur l’authenticité et sur l’intérêt des propos que je pouvais consulter. De plus les nouvelles plateformes de partage de contenus sont de plus en plus tournées vers la communication visuelle et les informations condensées ce qui fini par questionner notre capacité de concentration sur des formats plus longs.
Alors faut-il pour autant supprimer tous ses comptes sur les réseaux sociaux et aller acheter son journal au kiosque tous les matins sous peine de finir décérébré ? Plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain, je me suis demandée comment en tant qu’institutions culturelles – que ce soit les bibliothèques, les archives, les musées ou encore les théâtres – nous pourrions mieux nous emparer du web 2.0 pour introduire plus de diversité dans la production des contenus.
Qui sont les influencers et quel est leur impact ?
Les influencers sont des personnes qui en plus d’une activité professionnelle, ou à titre principal, produisent des contenus sur des plateformes permettant des interactions avec leur audience principalement à travers les blogs, YouTube et Instagram. Elles proposent une sorte de curation des choses et des sujets qui leurs tiennent à cœur. Il y a donc une variété d’influencers en fonction des centres d’intérêt et des aires géographiques. D’abord né comme un loisir, tout un système économique c’est récemment développé autour de la production de ces contenus, à travers le sponsoring, ce qui interroge sur l’authenticité des productions qui s’apparentent alors à de la publicité.
Certains influencers ont une audience et un revenu qui ferrait pâlir certains organes de presse traditionnels. Qu’est-ce-qui explique leur réussite ? Comparé aux médias souvent anonymes, les influencers sont des personnes de chaire et d’os avec qui il est facile de créer un lien. Lorsque le courant passe c’est souvent que l’on se sent proche de la personne, que ce soit par ses valeurs ou ses centres d’intérêt. De ce lien et des échanges qui peuvent en résulter, naît alors une relation de confiance : on estime l’avis de la personne et l’on estime la qualité de ses recommandations. Elles sont ainsi devenues de nouveaux gate keeper (sélectionneur) de l’information et participent à la mise sur agenda de certains sujets de société comme récemment la difficulté pour les femmes en situation de pauvreté de se procurer des protections menstruelles.
Quel potentiel représente le marketing d’influence pour les institutions culturelles ?
Si les grandes marques se sont engouffrées dans le marketing d’influence c’est qu’elle ont bien perçu le pouvoir de la recommandation par un pair dont on estime l’avis.
En tant qu’institutions culturelles, nous avons tant de choses à apporter à la société tant en terme de ressources matérielles que d’apports personnels. Or il est parfois difficile pour les bibliothèques, archives, musées et théâtre, de communiquer sur leurs services en dehors de leurs publics traditionnels. Les influencers ont cette capacité à toucher une audience large et surtout différente du public qui fréquente habituellement nos institutions.
Plutôt que de se lamenter sur les méfaits de la pensée internet, pourquoi ne pas contribuer à la transformer en travaillant avec des producteurs de contenus en ligne afin de rendre plus visibles nos actions.
Comment s’y prendre ?
• Tâter la concurrence : Avant de se lancer dans un tel projet de communication, il faut faire ses recherches. Il est important de trouver un influencer dont les valeurs et le travail vous semblent proches de ce que vous défendez. La scène française est de plus en plus variée et il existe des producteurs de contenus sur de nombreux sujets culturels. Il y a également de grandes chances pour que se trouve dans votre région un influencer qui serait intéressé pour promouvoir votre institutions de par votre proximité. Comment trouver la perle rare ? Sondez les hashtags qui vous semblent pertinents sur les réseaux sociaux, cherchez les profils similaires à des influencers dont vous appréciez le travail et regardez les personnes qui suivent déjà vos réseaux sociaux.
• Ce n’est pas la taille qui compte : A rebours de ce que l’on pourrait penser, il n’est pas forcement utile de chercher à travailler avec des influencers bénéficiant d’une grande audience. Outre les tarifs plus onéreux que supposerait une telle collaboration, les analyses marketing montrent que les interactions avec l’audience et le taux d’impact est supérieur chez les influencers ayant une plus petite communauté.
• Comprendre l’autre : Pour travailler avec des influencers il faut comprendre leur business model : ce sont des femmes et hommes orchestre qui assurent de A à Z la production de leurs contenus. Ils sont rémunérés soit par les contenus publicitaires des plateformes de diffusion, soit par les liens affiliés, soit encore par les collaborations pour des contenus sponsorisés. Si vous souhaitez qu’un influencer parle de votre institution, il vous faudra envisager deux types de contreparties : un accès privilégié à des évènements/lieux pour permettre la production de contenus de qualité ou la rémunération pour la production de contenus sponsorisés.
• Attention à la méprise : Si vous pouvez associer les influencers à vos lancement presse, il faut garder en tête que ce ne sont pas des journalistes. Aussi, si vous souhaitez qu’ils promeuvent votre institution, il est utile de nouer des relations plus individualisées. Pour favoriser la collaboration avec un influencer et permettre la production de contenus authentiques il est important de s’imprégner de la vision que la personne porte : suivez la sur ses différentes plateformes, inscrivez-vous à sa newsletter, suivez ses nouvelles publications…autant de façon de comprendre ce qui pourra l’intéresser dans le cas d’une collaboration.
• Faire le premier pas : Une fois que vous avez identifié un influencer dont la curation semble faire écho au travail que vous faites, c’est le moment de rentrer en contact. Le bon réflexe c’est de chercher son adresse mail officielle sur son site internet. La deuxième possibilité c’est de recourir aux messages directs et autres messages privés sur les réseaux sociaux. Le but de cette première prise de contact : dire qui vous êtes, travaillez le storytelling autour de votre institution et des actions que vous portez, et communiquer sur l’intérêt que la personne pourrait avoir de travailler avec vous. C’est le moment de parler de la production de contenus qui pourrait vous intéresser et de l’éventualité d’un sponsoring. La clef de ces échanges c’est de rester ouvert à la co-construction d’une proposition : le créateur de contenu reste l’influencer.
• It’s a match: Si la rencontre se fait entre vous et l’influencer, vient alors le temps de s’accorder sur la forme que prendra le contenu et sur les règles de rémunération. Certains influencers ont une grille pour la production de leurs contenus, il est toujours possible de discuter des tarifs et de proposer certaines contreparties, en terme d’accès privilégié à l’institution par exemple. N’oubliez pas de demander que vous soient soumis les contenus avant publication et fixez ensemble la date à laquelle ils doivent être postés.
• Gardez contact : Les meilleures relations sont celles que l’on entretien sur le long terme, alors mettez tout en œuvre pour maintenir le contact : invitation à des évènements, envoi de goodies personnalisés, autant de marques de votre estime qui permettront de ne pas vous faire oublier et pourquoi pas de retravailler ensemble à l’avenir.
Et dans la pratique ?
Cultureveille a récemment fait paraître un article, dont je vous conseille la lecture, sur les institutions ayant conduit des projets avec des influencers .
Il appartient à chaque institution culturelle de bien identifier l’influencer qui sera le mieux à même d’incarner son message, donc difficile pour moi de vous faire une liste précise des personnes à contacter. Néanmoins je peux vous donner quelques pistes : côté bibliothèques je vous conseille de vous tourner vers les booktubers et bookstagramer, pour les musées et archives, pensez aux influencers historiens, peintres ou musiciens. Parfois il est aussi utile de sortir des sentiers battus et directement contacter un influencer local, même si celui-ci est un bloggeur culinaire !
Pour vous aiguiller un peu plus dans vos recherches, voici les personnes que j’aime suivre en ce moment sur les réseaux sociaux :
Et vous qu’en pensez- vous ? Avez-vous déjà intégré le marketing d’influence dans votre stratégie de communication ? Quels sont les influencers qui vous inspirent en ce moment ? N’hésitez pas à partager vos expériences en laissant un commentaire.
Pour aller plus loin :
Eric Maigret, Sociologie de la communication et des médias, Que sais-je ?, Armand Colin (2015)
Jean Caune, « De l’influence de la communication sur la diffusion artistique », Télématique, Éducation, Arts du spectacle. Questions de/Sur la recherche (12/1991) pp 97-114
Marshall McLuhan, Understanding Media : The Extension of Man (1964)
Shanto Iyengar, Donald R. Kinder, News That Matters: Television and American Opinion, Updated Edition (2012)