Comme un cadeau, elles flottent dans l’air, quelques notes de piano qui réconfortent les voyageurs, les petits matins de départ ou les soirs d’arrivées après de longs voyages. Les artistes de quelques instants se succèdent, jeunes enfants venus faire leurs gammes, amis se lançant des défis, un homme qu’on croyait là pour faire la manche, la femme d’affaire avant de partir au travail. Ils ne jouent pas à guichet fermé, pour autant des milliers de spectateurs sont là. Ils ne jouent que pour eux, des petites notes et de beaux accords pour rendre le quotidien moins gris et incertain.
Lui donner rendez-vous et l’embrasser sous la statue de Jean Moulin, dans cette poignée de secondes, s’incarne tout ce que cette gare représente pour moi, un nouveau souffle, un élan de liberté.
Peu importe si les couloirs sont sombres, les amoureux trouveront toujours refuge, joie de l’attente et consolation face aux départs dans tes murs épais, témoins des plus sincères histoires. Tu as des petits airs de glaive planté dans la terre et tu te la joues plus belle gare de France. Tu le mérites c’est sûre, la belle gothique. Celle qui t’a précédée n’avait pas ton faste, ni ta carrure, alors que toi dans tes entrelacements tu tiens toute la complexité de ce territoire nourri et bouleversé par cet héritage franco-allemand. J’aimerais bien un jour visiter ton lanternon et y apercevoir de loin la cathédrale et peut-être de l’autre côté le Centre Pompidou. Je te promets de ne pas attendre, comme j’ai attendu pour visiter le toit de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. C’est une erreur de se dire avec vous, les vieilles pierres, qu’on a tout le temps devant nous pour vous visiter. Vous étiez là avant nous et nous vivons ainsi dans l’illusion que vous nous survivrez, alors qu’une flamme, un tremblement et vous voilà reléguées à la carte postale souvenir dans les fonds d’archives patrimoniales.
Tu es de ces personnages, dans la vie, ces adjuvants dans la trame narrative, dont on ne sait plus tout à fait à quel moment ils sont rentrés dans l’histoire. Mon premier souvenir de toi n’est pas si lointain et pourtant il appartient déjà à une autre époque, celle où l’on pouvait parcourir la France en train de nuit, ballottés et bercés sur des centaines de kilomètres pour atterrir au matin sous un autre ciel et toujours l’espérer, sous un autre soleil. La généralisation du TGV et l’arrivée des lignes à bas coût leur a fait du mal à ces villages éphémères mobiles.
Je suis arrivée Gare de Metz fin août 2010 avec quelques affaires et ma mère, pour partir emménager à Toulouse et y commencer mes études. Places assises et non couchées, changement à Montpellier, dos douloureux et sommeil impossible malgré les bouchons d’oreille et le masque sur les yeux. Tu es la gare des nouveaux départs, de ces sauts vers l’inconnu. A l’arrivée m’attendait une vie toute neuve et un avenir à construire. Pour ma mère-louve, cela marquait la fin de quelques chose, elle avait su accompagner son petit louveteau vers l’indépendance, la suite de l’histoire, c’était désormais à elle de l’écrire.
Prendre le train c’est partir à l’aventure, c’est se laisser guider par un autre, vers une destination que l’on souhaite meilleure. C’est aussi parfois se laisser tellement transporter par le moment présent, que la destination anticipée ne se trouve pas être celle vers laquelle on se dirige. Entre toutes tes voies, j’y perds parfois un peu mon latin et un soir d’hiver alors que je voulais effectuer le trajet Metz-Thionville, je me suis retrouvée dans le TGV partant sur le chemin inverse. Il suffit parfois d’un train en retard annoncé sur la même voie qu’un train déjà à quai, pour faire d’un soir de semaine anodin le début d’un scénario rocambolesque. Cette histoire n’aurait jamais pu arriver si j’avais pris ma voiture. Certes j’aurai pu me perdre à la sortie de l’autoroute ou alors vouloir emprunter les routes de campagnes et me perdre entre Rombas et d’autres charmantes bourgades en « -ange ». Mais là, grâce à la magie des rails, à l’humanité des contrôleurs et au grand cœur de mon amie un mardi soir à 20h je partais pour Paris.
Les gares, ces endroits où il est donné de rentrer dans la vie des gens, de découvrir ces petits moments de vie. Gare de Metz, train TER direction Nancy, au pieds de l’escalator un jeune homme et une jeune femme, les yeux rougis, ils pleurent, un collier souvenir d’un amour que l’on appellera bientôt passé, est rendu, le contrôleur annonce le départ imminent du train. Ils se séparent, la voie 7 ne leur aura pas portée bonheur. Elle part, il reste, il prends le couloir pour sortir de la gare en noyant son regard dans la succession de pixels sur son écran de téléphone. On vit tous cette rupture, la gare n’offre que peu d’abris pour ce genre de moments, nous sommes tous là à partager ces moments de vie avec eux. Les gares nous rappellent que sur les rails de l’existence, on est finalement tous bien similaires. Qui n’a pas vécu de séparation larmoyantes sur les quais, qui n’a pas retrouvé un amour attendu pendant de longues semaines à la sortie d’un train, qui n’a jamais vidé toutes les larmes de son corps assis sur son siège la tête appuyée sur la vitre du train ?
Je n’imaginais pas qu’après avoir avalé des milliers de kilomètres en train, je reviendrais à toi qui m’a servie de point de départ. Des gares, ici et ailleurs j’en ai vu, j’en ai aimé des belles et des lointaines, mais voilà le billet pris devait prévoir un jour, un retour. Tu es devenue aujourd’hui ma plus belle armure. Tu rends possible le fait de ne pas vivre où je travaille et m’offres ainsi une prise de distance, une protection. Tu me permets d’avoir une vie a moi, d’avoir 27 ans et de vivre l’inconséquence de mon âge.