Lettre d’enfance #4

L’art d’essayer

Initialement publié sur Substack Floriane-Marielle Job

août 13, 2024

Alors que se clôture le sommet international de l’essai sportif et que ma fille vient de faire ses premiers pas sous ses propres applaudissements, je reviens dans vos boîtes à lettres numériques parce que malgré la trêve estivale il faut bien aussi continuer à essayer. 

Pensée

Essayer : un mot qui évoque toute l’enfance, sa qualité, sa quintessence. Répéter un geste encore et encore jusqu’à le maîtriser, persévérer jusqu’à atteindre cette compétence. Sur le chemin, conserver la candeur et la joie des premières tentatives, même si parfois la frustration et le désespoir prennent le dessus. Il faut essayer pour réussir, se tromper pour avancer, échouer pour progresser. Aucun apprentissage ne se fait sans un effort constant. Mais dans essayer, il y a aussi le plaisir de la découverte, l’élargissement du champ des possibles, le dépassement de soi pour atteindre l’autonomie.

Observer un enfant qui essaie est une leçon d’humilité, un rappel vivant que notre condition humaine nous pousse à toujours apprendre, à trébucher avant de marcher. À l’orée de l’âge adulte, une fois sorti des bancs de l’école, la maîtrise de notre art professionnel tend à nous faire oublier la valeur de l’essai, la richesse de la tentative, et l’importance de l’échec. Acquérir de nouvelles compétences devient alors plus difficile, car on se fige dans ses savoirs et ses habitudes, de peur de la chute.

L’enfant, comme l’athlète, sait que rien n’arrive sans effort et que le plaisir réside également dans l’apprentissage. J’ose espérer qu’en tant que parent, amoureuse, fille, amie, créatrice, manager, chaque jour je continue à trébucher un peu, à chuter, pour toujours trouver une nouvelle maîtrise dans mes gestes et continuer à grandir.

Lecture 

Editions Marcel et Joachim

Les éditions Marcel et Joachim s’attachent à créer de beaux objets qui se lisent, se partagent et se contemplent, destinés non seulement aux tout-petits et à ceux qui s’en occupent, mais aussi à tous les amateurs de belles choses. J’ai découvert Le monde de Catherine Lavoie à la librairie du Centre Pompidou de Metz, et c’est une merveille que nous prenons plaisir à feuilleter régulièrement. Cet imagier artistique est une invitation à réaliser soi-même de petits découpages pour illustrer ses propres mots. C’est un objet simple et abordable, facile à manipuler, qui contribue de manière élégante et naturelle à la santé culturelle des tout-petits.

Si vous aviez encore besoin d’être convaincus que cette maison d’édition mérite d’être découverte, je vous invite à consulter le post Instagram de sa fondatrice, que je partage ici. Que dire de plus ?

Histoire

Il était une fois, dans la vaste savane africaine, une petite girafe nommée Lila. Contrairement aux autres girafes de son troupeau, Lila avait un cou étonnamment court. Tandis que ses amis étiraient leur long cou pour atteindre les feuilles tendres des acacias, Lila se trouvait bien embarrassée. Elle levait la tête aussi haut qu’elle le pouvait, mais les feuilles semblaient toujours hors de portée. Les autres girafes, bien qu’amicales, ne comprenaient pas pourquoi Lila ne pouvait pas se nourrir comme elles.

Chaque jour, Lila essayait différentes stratégies pour atteindre les feuilles. Elle se mettait sur la pointe des sabots, sautait, ou essayait même de grimper sur des rochers, mais rien ne fonctionnait. À la fin de chaque tentative, Lila restait affamée et triste.

Un jour, alors que Lila se promenait seule à la recherche de quelque chose à manger, elle tomba sur un groupe de gazelles. Ces gazelles, avec leurs cornes élégantes et leur démarche gracieuse, étaient en train de manger de l’herbe tendre et des petites plantes poussant au sol. Curieuse et affamée, Lila s’approcha timidement.

Les gazelles, surprises de voir une girafe si près du sol, la regardèrent avec des yeux ronds. Mais au lieu de la rejeter, elles l’accueillirent avec gentillesse. « Bonjour, petite girafe ! Pourquoi n’es-tu pas avec ton troupeau à manger des feuilles en haut des arbres ? », demanda l’une des gazelles.

Lila baissa les yeux, un peu honteuse. « Je n’y arrive pas », avoua-t-elle. « Mon cou est trop court pour atteindre les feuilles. Je ne sais pas quoi faire. »

Les gazelles échangèrent des regards complices. « Ne t’inquiète pas », dit une autre gazelle. « Nous allons t’aider. Viens manger avec nous ! Il y a beaucoup d’herbe tendre ici, et elle est délicieuse. »

Illustration générée par Dall-E

Lila était surprise. Elle n’avait jamais pensé à manger autre chose que des feuilles d’arbre, mais elle décida d’essayer. Elle baissa son cou et prit une bouchée d’herbe verte. C’était différent, mais incroyablement bon ! Et surtout, elle pouvait se nourrir sans difficulté.

Jour après jour, Lila passa de plus en plus de temps avec les gazelles. Ensemble, elles exploraient la savane, découvrant de nouveaux endroits où l’herbe était particulièrement douce et où des buissons bas offraient des baies sucrées. Lila se sentait de plus en plus à l’aise, et surtout, elle se sentait acceptée et aimée pour ce qu’elle était.

Un jour, alors qu’elle mangeait avec ses nouvelles amies, Lila aperçut son ancien troupeau de girafes au loin. Elles semblaient étonnées de la voir si heureuse et en si bonne santé. Lila sourit en les voyant. Elle n’était plus triste de ne pas pouvoir atteindre les feuilles des arbres, car elle avait découvert une nouvelle façon de se nourrir et, surtout, elle avait trouvé des amies qui l’aimaient pour ce qu’elle était.

De temps en temps, Lila rejoignait son ancien troupeau, mais elle revenait toujours vers les gazelles, avec qui elle avait tissé des liens indéfectibles. Elle avait appris que, parfois, les différences qui nous semblent des obstacles peuvent en réalité nous ouvrir à de nouvelles opportunités et à des amitiés inattendues.

Et ainsi, Lila la petite girafe vécut heureuse, entourée de ses amies les gazelles, prouvant que le bonheur se trouve souvent là où on ne l’attend pas.

Lettre d’enfance #3

Où je partage mon dilemme sur les sacrifices faits par amour et un manuel de survie pour mieux communiquer avec les humains petits et grands.

Publication initiale sur la plateforme de newsletter Substack.

Pensée

Je dois vous faire une confession : ces dernières semaines, je me suis plongée avec délectation dans l’univers enchanteur de la saga Bridgerton. Bien que cette série, qu’elle soit lue ou visionnée, suscite des interrogations quant à ses représentations normatives du mariage, de l’intimité et de l’orientation sexuelle, elle m’a offert une échappatoire réconfortante, particulièrement salutaire face aux défis quotidiens tels que les poussées dentaires de mon enfant. Parmi ses nombreux attraits, l’un des plus marquants est sa capacité à aborder de grands thèmes humains, notamment le sacrifice que nous consentons souvent par amour pour nos proches.

Aimer, que ce soit en tant que parent, frère, sœur, amoureux, ami ou enfant, transforme profondément notre être. Cela nous pousse à nous décentrer, à privilégier les intérêts de l’autre au détriment des nôtres, à projeter des sentiments positifs et empathiques sur ceux que nous chérissons. Il n’est pas nécessaire de rappeler les prouesses physiques auxquelles les parents sont prêts pour protéger leurs enfants afin d’illustrer cette capacité à se dépasser pour autrui.

Dans le deuxième tome de la saga Bridgerton, le vicomte Anthony, aîné de la fratrie, fait une série de choix dictés par le devoir, croyant ainsi agir pour le bien de sa famille. Cependant, ce chemin décisionnel menace de le conduire au malheur. Il faudra toute la bienveillance de sa mère et de sa sœur pour lui faire comprendre que ces arbitrages sont loin de rendre service à ses proches et le rendent lui-même profondément malheureux.

Se sacrifier pour les autres est souvent présenté comme une voie noble. Faire passer autrui avant soi peut être gratifiant et valorisant, surtout pour les âmes charitables. En tant que mère, j’ai découvert en moi des capacités infinies à négliger mes propres besoins, plaçant ceux de ma fille en priorité absolue. Cette notion de sacrifice m’interroge car, avant d’avoir des enfants, je trouvais cet oubli de soi dérangeant, peu féministe, et fragilisant pour les femmes dans leur quête d’autonomie physique, intellectuelle, professionnelle, politique ou financière.

En s’oubliant, en se sacrifiant pour leur famille, j’avais l’impression que ces femmes perdaient de vue la cause de leur émancipation, qu’elles se rendaient vulnérables. En réalité, elles étaient plus fortes que moi. Peut-être que la nature est bien faite, et que ce dépassement de soi, lorsqu’on aime véritablement, est la force de l’humanité. Pourtant, quel rôle cet oubli de soi impose-t-il à ceux que nous aimons ? De la reconnaissance, peut-être, mais qu’a demandé l’être aimé pour se retrouver dans cette position ? Souvent rien, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes enfants.

Et quand cette reconnaissance n’arrive pas, l’auto-sacrifié se retrouve avec son amertume et ses regrets, distillant des remarques empreintes de rancœur : « Je n’ai pas pu faire ceci ou cela à cause de toi », « Si tu peux faire telle chose, c’est parce que j’ai dû faire tel sacrifice ». C’est un fardeau lourd à porter pour les enfants, qui ne comprendront ces actions que lorsqu’ils seront eux-mêmes confrontés aux mêmes dilemmes.

Dans l’atelier de l’artiste Henry-Marius Petit, auteur de la statue Hommage aux mères françaises inspirée par l’auteur messin Louis Forest

Faire passer l’autre avant soi lorsqu’il est plus vulnérable est une noble cause en situation de survie, mais un poids bien lourd au quotidien. Alors, que faire si cette posture n’aide pas l’enfant ? Les théories de développement personnel et la psychologie prônent de se connecter à ses propres besoins et de s’organiser pour pouvoir les combler à coup de compromis et de billets. Mais savoir ce à quoi l’on aspire quand son monde intérieur et ses capacités physiques ont changé relève du défi.

Ma liste des priorités est assez claire : ma famille, ma santé et ma créativité. Lorsqu’il me faut faire des arbitrages, c’est toujours cette priorité numéro un que je privilégie. Mais jusqu’à quand et comment savoir si l’on est allé trop loin par un sens du devoir mal calibré ? Jamais je n’ai demandé à ma mère de se sacrifier pour moi, et pourtant, je sais bien que sans ses choix faits par amour, mon chemin n’aurait pas été le même. Chaque jour doit-il être une danse un peu folle pour équilibrer toutes les priorités que l’on s’est fixées ?

Ma réflexion du jour n’apporte guère de réponses définitives et invite plutôt à une introspection quotidienne pour analyser les origines de nos inclinaisons. Si les actions entreprises sont motivées par le désir de reconnaissance et la valorisation extérieure dans le rôle de “bon parent”, alors peut-être qu’un réajustement est nécessaire. Si, au contraire, nos actions sont dictées par nos valeurs propres et parce qu’elles sont importantes pour nous, même si cela implique de prioriser l’autre, alors ces options semblent plus saines. Cela n’empêchera certes pas de se tromper par amour, mais permettra peut-être de sortir de la posture de l’être aimant qui s’est sacrifié pour, et devenir plutôt l’être d’amour qui agit selon son propre compas de valeurs.

À chaque décision majeure qui me conduit à mettre mon propre confort à l’épreuve, je sonde mon cœur pour en connaître l’origine. J’aspire à me dire : « Je fais cette action car il est important pour moi d’être présente pour ma fille, de lui offrir sécurité et disponibilité, parce que c’est la personne que je souhaite être. » Tout cela, en essayant de ne plus oublier mes propres besoins essentiels. 

Lecture 

Je découvre avec joie le plaisir d’avoir une enfant capable d’exprimer ses besoins alors qu’elle n’a qu’un an. Elle a sans doute atteint un niveau de développement personnel bien supérieur au mien (vive les nouvelles générations), que je ne veux pas étouffer dans l’œuf. Cependant, j’aspire aussi à mener une existence équilibrée et à lui offrir des repères stables pour se construire et surtout pas à courir tous les soirs après un bébé qui pleure. Dans ce paysage complexe et mouvant, qui semble se recomposer tous les jours pour elle comme pour nous, le guide qui m’accompagne en ce moment est la version pour les tout-petits de l’approche d’Adèle Faber et Elaine Mazlish : Parler pour que les tout-petits écoutent : Un guide de secours pour le quotidien avec des enfants de 2 à 7 ans par Joanna Faber et Julie King.

Cet ouvrage déculpabilisant, didactique et illustré aborde de nombreux cas concrets de gestion des émotions, des conflits et de la sensibilité chez les enfants. Chaque chapitre propose des outils concrets pour établir une communication efficace, adaptée et ludique avec ses enfants afin de surmonter les conflits du quotidien. Les autrices partagent leurs propres échecs et encouragent à mener des échanges, formalisés ou non, dans des cercles de paroles, sur les astuces mises en œuvre pour améliorer la communication avec les enfants.

C’est un ouvrage formidable, une approche qui fait sens pour moi, et je suis très reconnaissante envers l’amie qui m’a fait découvrir cette méthode. Je me permets donc de passer le mot et ce qui est merveilleux c’est que les principes de communication sont également déclinable à destination des adultes ! 

Lettre d’enfance #2

Une invitation à la compassion et à l’espérance

Contenu initialement posté sur Substack FLORIANE-MARIELLE JOB

Cette semaine, je vous propose une petite invitation à la compassion et un conte de ma plume.

Pensée

Avant j’avais des principes, maintenant j’ai un enfant. La petite enfance met à l’épreuve ma résistance au changement en m’apprenant à naviguer avec le courant.

La parentalité est une période de transition intense qui rend si évidente la différence entre mes attentes et la réalité. Je suis partie pour ce grand voyage armée de mon amour pour mon conjoint et de mes valeurs environnementales et sociales. J’avais en tête tout un panel de choses à faire : les couches lavables, le batch-cooking de petits pots, la diversification alimentaire menée par l’enfant, la motricité libre, le portage physiologique, les approches montessori et la naturopathie. Mais voilà le résultat après N+1 : notre fille est née dans des circonstances théâtrales nécessitant l’usage immédiat d’une batterie d’antibiotiques. Nous avons opté pour des couches jetables, des lingettes, le sopalin et même des petits pots bio du commerce. Nous avons également acquis un parc, un transat et même un porte-bébé préformé. Pour couronner le tout, je me retrouve à faire des Facetime avec ses grands-parents. Même pour quelqu’un comme moi, habituée à la danse classique, c’est un bel exercice de grand écart. Et ce n’est pas toujours facile de naviguer au quotidien entre l’image du parent que l’on aurait voulu être, celui que l’on pensait devenir, et celui que l’on est vraiment, surtout quand le mode survie s’enclenche.

Pour ma part, le mode survie a débuté après un mois de nuits foutues en l’air par un bébé effrayé dans ce nouveau monde, réclamant lait et chaleur humaine. Je n’en suis pas encore sortie ; pourtant, chaque jour m’oblige à composer avec mes propres attentes et la réalité, apprenant à nager avec le courant plutôt qu’à m’épuiser à vouloir le remonter. Je ne souhaite pas que ce contenu devienne aliénant pour ceux sans enfants, par choix ou par circonstance. Je profite donc de l’occasion pour ajouter que ce ressenti n’est pas propre à la parentalité, mais qu’il nous traverse universellement lors des grandes transitions et changements de vie.

La grande vague, Cette, 1857, photographie de Gustave Le Gray

Alors que je m’évertue dans mon travail à accompagner le changement et à faire percevoir ses vertus aux plus réticents, cette expérience personnelle m’a fait réaliser que je détestais cette période d’instabilité, de remise en question et de transformation, me poussant à devenir le contraire de moi-même. Je continue de croire qu’une fois sortis du mode survie, je pourrai renouer et intégrer mes valeurs plus subtilement dans mon quotidien et dans l’éducation de notre fille, même si je peux encore me tromper. Quoi qu’il en soit, cette période de grande transformation m’a appris à être plus compréhensive et flexible face aux défis que peuvent traverser les autres. Petits ou grands, ces changements nous mettent à l’épreuve, nous fragilisent, nous rendent ductiles. Mais j’espère encore qu’ils nous permettront de devenir meilleurs et plus sages.

Histoire 

Un conte abécédaire pour nous inviter à célébrer les mots, la solidarité et la diversité. 

Ce matin, tu t’es réveillé et tous les mots avaient disparu. Dans les bouches, les journaux, sur les enseignes et dans les livres, il ne restait même pas leurs ombres.

Pour toi, qui chéris tant les histoires et les doux mots des gens qui t’aiment, cette disparition était un drame.

Alors, tu t’es souvenu, dans ta tête, à travers quelques images, d’un conte que te racontait ta grand-mère : au-delà des montagnes, existait une vallée où fleurissaient les lettres. Sans lettres, point de mots. Peut-être là-bas trouverais-tu une explication, voire une solution, à la tristesse grandissante des gens privés de mots.

Tu as rassemblé quelques affaires, des vivres, et appelé ton chien pour qu’il t’accompagne. Puis, tu as pris la direction du Nord. Il a fallu te fier à la mousse aux pieds des arbres, car même sur les cartes, toutes les indications avaient disparu. La marche, les intempéries, la solitude, tout cela ne te faisait pas peur d’habitude. Mais là, sans pouvoir parler à ton chien, chanter pour te donner du courage, ou murmurer une pensée pour les personnes que tu aimes, tout semblait plus difficile.

Le silence, voilà ce qui a rythmé ton voyage. Des kilomètres de plaines ont fait place à la forêt, et c’est là que tu as entendu quelque chose pour la première fois : le chant d’un oiseau. C’était si beau qu’une larme a roulé sur ta joue. Tu as alors compris que les notes de musique, elles, n’avaient pas disparu. Tu t’es mis à siffler une belle mélodie, puis tu as souri pour la première fois depuis le début de cette aventure.

Après la forêt, il y a eu le froid des sommets. Tu as même cru apercevoir un léopard des neiges. Une fois la montagne franchie, tu t’attendais à retrouver le ciel bleu et la chaleur des rayons du soleil. Mais plus tu descendais vers la vallée, plus il faisait sombre et glacial.

Tu t’enfonçais dans un épais brouillard couleur de nuit. T’étais-tu trompé de chemin, ou bien les histoires que te racontait ta grand-mère n’étaient-elles que des légendes ? Fatigué, découragé, tu finis par t’endormir au pied d’un arbre, ton chien blotti contre toi pour vous tenir chaud.

Dans ton sommeil, ta mamie te rend visite. Tu vois son sourire et son regard qui inspire confiance. Dans ce rêve, c’est comme si elle t’envoyait des réponses à tes questions. Au matin, tu te réveilles toujours dans cette épaisse brume, mais au moins tu sais quoi faire.

Tu es au bon endroit. Dans quelques mètres, ce sera la vallée des lettres. Tu comprends aussi qu’avec cette pénombre et ce froid, les lettres ne doivent plus pouvoir pousser. Qu’est-ce qui a bien pu conduire à ce changement climatique ? Cela, tu l’ignores, mais tu sais qu’il te faut préserver les graines lettres si tu veux que les mots reviennent.

Un véritable désastre s’étend devant tes yeux. Là où tu aurais dû t’émerveiller devant d’innombrables fleurs-lettres de toutes les couleurs, tu n’as devant toi que des plantes fanées et grises. Alors, méthodiquement, tu te mets à récolter les graines cachées dans les lettres mortes : A, B, C, D, E… Tu parcours tout l’alphabet avec minutie, préservant dans de petits sacs en tissu les derniers fragments d’espoir pour sauver les mots.

Ici, la nature est devenue trop triste. Il faudra planter les fleurs-lettres ailleurs. Peut-être que la vallée était trop éloignée du village, et les gens ont oublié de prendre soin de l’environnement ? À ton retour, tu confieras chaque graine de lettre à un habitant qui devra en être le gardien. Ils devront veiller sur leur fleur-lettre pour assurer que les mots continuent à croître et à s’épanouir.

Collection RNN

Tu te mets en route, les petits sacs de graines serrés contre ton cœur. Ton chien et toi, vous avez presque le sourire aux lèvres. Lorsque tu arrives au village, tu cours vers la maison de tes grands-parents. Mais pas le temps de les prendre dans tes bras, tu te précipites vers la remise où tu rassembles tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un pot de fleur. Une fois que tu as réuni vingt-six pots, tu les remplis de terre avant d’y planter les graines de chacune des lettres de l’alphabet. Avec un vieil arrosoir en fer, tu verses un peu d’eau dans chacun. La prochaine étape ? Confier chaque fleur-lettre à un villageois.

La première personne à qui tu penses, c’est celle sans qui rien n’aurait été possible : ta grand-mère. Tu cours dans sa cuisine, déposes le pot contenant la lettre A au bord de la fenêtre baignée de lumière, puis tu vas l’embrasser tendrement. Elle te regarde, les yeux pétillants. Vous le savez tous les deux, deux mots viennent de renaître : aimer et audace. L’amour, parce que c’est le sentiment que vous partagez ; l’audace, parce que c’est la force qu’elle t’a donnée.

C’est ainsi que tu as compris que pour faire revenir les mots, il ne fallait pas seulement sauver les fleurs-lettres. Les gens devaient aussi donner du cœur et transmettre leurs valeurs pour que le langage revienne. Tu commences alors le tour du village pour poursuivre ta mission. Ton chien tire fièrement derrière lui une petite charrette où tu as placé tous les pots.

Tu t’arrêtes d’abord à l’école, où tu retrouves ta maîtresse qui, malgré tout, s’occupe des enfants en communiquant par des dessins et en sifflotant. Lorsqu’elle reçoit le pot de fleur lettre B, le mot bienveillance apparaît.

En chemin, tu croises une infirmière qui navigue de patient en patient, faisant preuve d’intuition pour comprendre les maux des malades. Elle veillera sur la fleur lettre C. Son grand cœur et son sens du service font renaître le mot courage.

La prochaine porte à laquelle tu frappes est celle d’un avocat, défenseur des gens du village. Derrière lui, sa petite fille tient une baguette magique qu’elle a fabriquée elle-même. Lorsque tu leur tends les lettres D et E, apparaissent les mots droiture et émerveillement.

Tu passes ensuite à la bibliothèque, où tu trouves la bibliothécaire animant un théâtre d’ombres faute de pouvoir lire des histoires aux enfants. Tu poses la fleur lettre F sur le bureau d’accueil et l’énergie du lieu fait éclore le mot fraternité. Tu remarques aussi deux parents qui sont famille d’accueil pour des enfants dans le besoin. Tu leur confies les fleurs lettres G et H, et leur présence fait renaître les mots gratitude et hospitalité.

En chemin vers la place centrale du village, tu passes devant un café où un artiste et un philosophe sont attablés, tentant de refaire le monde comme avant. Tu apportes les fleurs lettres I et J et grâce à eux reviennent l’innovation et la joie. À côté, l’échoppe d’un potier japonais expose de magnifiques bols en céramique, certains recollés à l’or fin. En faisant un petit salut traditionnel japonais, tu lui confies la fleur lettre K et le mot qui apparaît est kintsugi, symbole de son travail.

Collection RNN

Arrivé sur la place du village, tu t’aperçois que de nombreux habitants sont sortis de chez eux et se rassemblent comme pour t’attendre. Sans doute t’ont-ils vu parcourir la ville. Cela tombe bien, penses-tu, tu as encore beaucoup de pots dans ta charrette. Les villageois curieux s’approchent de toi et tu commences à distribuer les pots.

Un chef d’entreprise prend la fleur lettre L et le mot leadership, symbole de son engagement à diriger ses équipes, renaît. Un ingénieur permet au mot maîtrise d’apparaître en acceptant de s’occuper de la fleur lettre M. Une mère et son enfant approchent pour prendre les fleurs lettres N et O. Leurs yeux pétillent quand apparaissent les mots nouveauté et optimisme.

Il te vient alors l’idée de prendre soin toi aussi d’une fleur lettre, pour ressentir ce que tu as vu émerger chez chacune des personnes acceptant un pot. Tu choisis la fleur lettre P et tu sens monter en toi une chaleur et une joie qui font éclore dans ton esprit et pour tous le mot persévérance. Cela te ressemble finalement bien.

Un vieux médecin chinois, accompagné de ce qui semble être son patient, s’avance. Après avoir pris dans leurs bras les pots des fleurs lettres Q et R, les mots Qi pour l’énergie vitale en chinois et résilience pour la force de dépasser les épreuves, apparaissent.

Les personnes continuent d’affluer sur la place, et un agriculteur, accompagné de sa vache, s’approche de ta charrette pour prendre la fleur lettre S. Comme son métier l’oblige à soutenir tous grâce à la nourriture qu’il produit, le mot soutenir apparaît.

Toute une équipe de bénévoles d’une association d’aide aux plus démunis s’approche. Leurs grands cœurs ne peuvent rester insensibles à la mission que tu proposes. Ils s’emparent des fleurs lettres T, U, V, W et X. Pas forcément les lettres les plus utilisées, mais elles pourront compter sur leur vigilance. Les mots tolérance, unis, volontaires, woke et xénophile renaissent alors.

Il ne reste plus que deux pots, et ta mission sera accomplie. Un professeur de yoga et un moine bouddhiste s’avancent pour prendre les fleurs lettres Y et Z. Comme un cycle qui se termine, les mots yoga et zen reviennent.

C’est alors qu’une grande bourrasque de vent balaye la place, emportant avec elle les pollens des fleurs lettres et permettant de faire renaître partout, dans les livres, sur les enseignes et dans les bouches, les mots qui vous avaient tous manqués. Les gens parlent, crient, rient et chantent. Tu avais presque oublié la joie que procure cette joyeuse cacophonie.

Tu es conscient qu’il ne faut pas s’arrêter là, qu’il faut expliquer ce que tu as vu et alerter sur l’importance de prendre soin de la nature et des fleurs lettres pour éviter que cette catastrophe ne se reproduise.

Les gens t’écoutent d’un air grave, comprenant l’importance de ce qui se joue. Avec tous les villageois, vous décidez de définir un abécédaire des grandes idées qui devront guider votre action pour préserver votre environnement. D’où viennent les mots qui composent cet abécédaire ? Évidemment, ce sont les premiers qui sont réapparus lorsque tu as réussi à sauver les fleurs lettres : les 26 mots du courage et de la renaissance du langage.

A – Amour B – Bienveillance C – Courage D – Droiture E – Émerveillement F – Fraternité G – Gratitude H – Hospitalité I – Innovation J – Joie K – Kintsugi L – Leadership M – Maîtrise N – Nouveauté O – Optimisme P – Persévérance Q – Qi R – Résilience S – Soutenir T – Tolérance U – Unis V – Volontaires W – Woke X – Xénophile Y – Yoga Z – Zen

Je vous remercie de votre lecture, n’hésitez pas à me faire vos retours et à partager ces textes ! Je travaille à terme à mieux illustrer ces publications.

Lettre d’enfance #1

Une pensée, un livre, une histoire

Contenu publié originellement sur Substack FLORIANE-MARIELLE JOB

JUL 02, 2024


Pensée

La parentalité, voilà un voyage intérieur remuant. Depuis le jour 1 in utero, c’est pour moi une levée quotidienne du voile sur ma propre enfance. C’est l’occasion de luttes politiques au sein du couple comme à l’extérieur du foyer, une source d’inquiétudes micro et macro – allant du petit rhume aux questions sur l’avenir du monde – mais aussi une manière intuitive de se reconnecter aux joies simples.

Pour faire face à ce tourbillon, chacun s’en remet à ses propres bouées de sauvetage, des outils aiguisés au fil du temps pour l’aider à mieux comprendre le monde. Pour moi, les lettres demeurent ce refuge, à travers la lecture comme l’écriture. Je souhaite donc profiter de ce nouveau format, vous partager mes réflexions, conseils lecture et petites histoires qui rythment le temps de l’enfance.

Livre

La matressence : je ne voulais pas y croire, je ne voulais que rien ne change, rester la même. Pourtant, tout est bien différent. Mes questionnements, mes doutes, mes peurs rejoignent aujourd’hui, que je le veuille ou non, les interrogations que les parents et tous ceux qui s’occupent des plus petits partagent depuis toujours. J’aurais aimé avoir plus de réponses, plus de confiance, plus de certitudes. À l’heure où le marketing s’enfonce dans ces failles, cela m’aurait sans doute permis d’économiser quelques euros.

Lorsque l’on parle aujourd’hui de puériculture et de pédagogie, il y a évidemment un nom auquel on ne peut échapper et qui se veut être le garant du bien-être de l’enfant : Montessori. Avant d’être un argument commercial pour vous faire sortir votre carte bleue pour cette arche de motricité ou ce service en porcelaine, il y a la pensée d’une femme, Maria Montessori. 

C’est à travers l’ouvrage Montessori, Une conquête d’indépendance, Lettres sur l’éducation et un monde nouveau aux Éditions L’Orma, dans leur jolie collection de Livres à expédier, que j’ai pu percevoir, à travers sa plume, qu’elle faisait de l’enfance une question éminemment politique. Maria Montessori, en s’attachant aux enfants les plus faibles de notre société, prône une approche collective de l’éducation des petits, portée par les familles ensemble au niveau de leurs quartiers et par les pouvoirs publics, tout en ayant un souci pour le réenchantement du quotidien par le beau.

Nous sommes loin des contenus policés des réseaux sociaux qui peuvent être culpabilisants pour les parents fatigués qui n’ont pas le temps de mettre en place leur rotation de jouets ou de prévoir une activité pédagogique pour leur seul enfant. Le manque de sommeil, de confiance en soi et la peur de demain ne rendent pas aisé le fait de s’engager politiquement sur ce temps de l’enfance. Pourtant, ce texte est un rappel bienfaisant et une invitation nécessaire.

Histoire 

La courageuse petite orange

À Tanger, au nord du Maroc, se trouvait une magnifique orangeraie connue dans toute la ville. À l’approche de la saison de la récolte, une petite orange avait une grande ambition : devenir le fruit le plus succulent, le plus gros et le plus juteux de l’orangeraie. Elle rêvait d’être dégustée pressée ou même transformée en un délicieux gâteau. Pour y parvenir, elle avait décidé de pousser sur la plus haute branche de l’arbre, là où les rayons du soleil étaient les plus chauds. Rapidement, elle devint d’une belle couleur orange avec des nuances de rouge.

Quand les cueilleurs arrivèrent, portant de lourds paniers, la petite orange était à son maximum de saveur et attendait impatiemment qu’on vienne la cueillir. Mais elle était si haute dans l’arbre qu’aucun des jeunes cueilleurs n’osait grimper pour la saisir. Les jours passaient, et la petite orange commençait à craindre de finir desséchée ou moisie, sans jamais avoir été savourée. Tous ses efforts auraient été vains.

Non loin de là, dans une école de la ville, une classe de maternelle se préparait à faire un voyage à Paris. La maîtresse avait parlé des monuments qu’ils allaient visiter, et les enfants étaient tous impatients, sauf Tania, qui avait le vertige. Elle redoutait de ne pouvoir profiter de la visite de la Tour Eiffel. Décidée à affronter sa peur, elle donna rendez-vous à ses camarades à l’orangeraie un mercredi après-midi. Grimper à un arbre serait une première étape avant le grand voyage.

Ses amis l’encouragèrent, mais en se plaçant au pied de l’arbre, Tania sentit sa peur monter. Elle prit une grande inspiration et commença à grimper. Les premières branches furent difficiles à atteindre. En levant les yeux, elle aperçut tout en haut une orange juteuse. La perspective de l’atteindre lui donna du courage. Branches après branches, pieds après pieds, Tania avançait, même si ses mains lui faisaient mal et qu’elle évitait de regarder en bas. Finalement, elle attrapa l’orange et la glissa dans sa poche.

La descente de l’arbre n’était pas plus facile, mais Tania prenait confiance en elle. Elle évita de glisser et arriva enfin au sol, accueillie par les acclamations de ses amis. Heureuse et fière d’avoir combattu sa peur, elle sortit l’orange de sa poche et partagea ses quartiers avec ses camarades.

Et la petite orange, elle, savourait d’être devenue le fruit d’une si belle victoire.

Pour prolonger l’histoire :

  • Avez-vous déjà eu peur de quelque chose ? Comment avez-vous surmonté votre peur ?
  • Quelle est votre friandise préférée à base d’orange ?
  • Si vous pouviez grimper à un arbre pour attraper quelque chose, qu’aimeriez-vous trouver tout en haut ?

Les lumières de la nuit

Il rayonne, il palpite et sort de lui comme un léger grésillement. Planté là, au milieu du trottoir, il est impossible de dire ce qu’il était censé éclairer.

Elle, seule. Fin de soirée de novembre, l’âme un peu trop chahutée par la vie et les larmes aux yeux, elle avance péniblement. Sans doute l’alcool, sans doute la tristesse, qui pèsent dans ses jambes et la font tanguer. À ce moment-là, il lui semble que demain ne veut plus rien dire. Cette petite rue, elle la pratique tous les jours.

Les habitudes effacent les détails, rendent le paysage anonyme, sans relief. Peut être parce que les circonstances sont différentes ce soir ou peut être parce qu’elle n’a plus rien à perdre, à travers le voile de larmes elle voit pour la première fois la beauté des lumières de la nuit. Tons or et oranges sur fond bleu Pantone 19-40502, tac tac des talons sur les pavés et froissements de feuilles pour seul décor. Il reste ça au moins, la beauté, même si l’avouer lui arrache le ventre.

Dans son cœur comme un écho, des bruissements ressentis dans tout son corps, d’où cela peut-il venir ? Un candélabre, il frémit, sa lumière semble scintiller différemment aussi. Elle se demande d’où peut venir ce bruit qui résonne en elle. Il semble trop étrange pour être seulement être le fruit d’une erreur de branchement de la société de fourniture d’électricité. Un petit éclat de cette lumière se réfracte dans son pendentif Belive in magic. Peut-être que si elle s’approche elle découvrira un accès vers un autre monde ? Peut-être que si elle y croit suffisamment fort tout pourra changer ?

© Raphaël Solarig

La promesse d’un regard

Il semblerait bien que ce soit toi qu’elle regarde. Toi au cœur de cette foule. Des yeux immenses, ça dessine comme des soleils avec ces cils infinis. Tu ne t’es jamais senti autant vu de ta vie, c’est quelque chose qui dépasse le simple croisement de regards. Tu doutes pourtant. Elle ne peut pas vraiment s’intéresser à toi, franchement tu ne le mérites pas, non ? Tu essayes de poursuivre la conversation commencée avant que ces deux immensités ne se posent sur toi. Voilà qu’elle te sourit, ça illumine son visage et ça semble vouloir dire « bienvenue, je t’attendais ». Derrière ton masque, celui en papier et les mille autres intangibles, tu lui retournes timidement ce signe de connexion, pas encore tout à fait convaincue. Cette question qui revient, pourquoi toi ? Si ça se trouve tu as un truc qui cloche sur ton visage qui appelle plus un rire, qu’un sourire.

Mais voilà qu’elle te tend les bras, à toi, levant tous les doutes. Elle est là avec ces yeux châtaigne magnifiques, sa peau porcelaine, son sourire plein de malice, son front balayé par une légère frange, et elle te tend les bras. Une manière de te dite « toi je te fais suffisament confiance pour m’abandonner au contact de ta peau ». Tu laisses tomber les masques, pour confirmer qu’il n’y a pas méprise ou confusion et lui rendre son sourire, le tiens plein de dents. Toujours ses bras et son envie d’aller vers toi. Tu n’as jamais fait ça, tu as souvent eu peur ou pas su comment accueillir. Depuis quelques mois pourtant tu as observé l’effet que ça pouvait faire de s’abandonner à l’instant, au pouvoir d’un regard.

Tu tends les bras et ce petit corps plein de joie quitte les bras de sa maman pour prendre place dans les tiens. Comme ça et ça paraît évident. Sentir la vie et le futur palpiter sous tes doigts met fin à toutes tes interrogations sur le monde, ne reste que la confiance et la sérénité. Elle semble bien, avec toi. Pourtant tu doutes encore, tu ne voudrais la priver de rien. Elle sait qu’elle n’a pas envie tout de suite de retrouver les bras refuge de celle qui est encore une extension d’elle-même. Vous vous colleriez presque, front contre front, à vous raconter les secrets de l’univers. A ce jeu tu paries qu’elle en sait déjà plus que toi. Saisir ces moments de pur bonheur, tu ne sais pas trop faire. Alors tu l’invites à regagner le confort du connu. Toi pour la première fois tu as été confronté à l’inconnu, à l’indicible aussi. Un petit geste d’au revoir puis tu t’éloignes. Tu sens encore dans tes bras, contre ton torse, dans ton cœur, le poids de sa présence, de la vie et de l’avenir. Avec la trace de ce poids dans le corps, tu repars en te faisant la promesse d’être à la hauteur pour que son demain et celui de tous les autres ne soit pas trop incertain.

Flambée

Il y a ce feu dans mon ventre
Quand je me lève, il est petites braises
Au fur et à mesure de la journée, il grandit
Promis je ne souffle pas dessus pour l’attiser
J’essaye de me concentrer
De faire comme si au fond de moi ça n’existait pas

Je fais bonne figure
Etre là pour ceux qui comptent sur moi
Professionnelle, qu’ils disent
C’est pourtant ton nom qui occupe mes pensées
Je vois tes yeux, ton sourire, tes mains
Il faut que je m’arrête là, ne pas aller plus loin

Quand je pense à tes caresses, à ton souffle sur ma peau
Si je ne contrôle pas mon esprit
Il part dans ce territoire que l’on habite toi et moi la nuit
Dans cet espace où il n’y a plus de langage
Privée de la vue, privée de l’ouïe
Mon corps s’abandonne entre tes mains

Le feu se propage, l’incendie est déclaré
Ça pourrait être un feu de joie
Autour duquel nous danserions
Compter les jours, les heures avant de te retrouver
Espérer alors l’embrasement complet
Jouer avec le feu

Te voilà, tu es là
Tes yeux, ton sourire, tes mains
J’imagine déjà tes caresses et le frisson de tes baisers
Mais ton corps se dérobe
Je nous rêvais continent et je te découvre île à la dérive
La fusion tombe à l’eau

Du feu ne reste que la fumée
Noire, toxique
Elle a le goût de l’amertume et des rêves en éclat
Pourtant tu es toujours là
Il reste tes yeux et ton coeur malmené par la vie
Je comprends peu à peu ce qui m’attend

Devenir pompier de ma propre incandescence
Calmer la flamme pour te donner du temps
Tu pars à ta propre reconquête
J’apprends à t’apprivoiser
Petite flamme de bougie, qu’un souffle peut éteindre
Espérer qu’à deux nous redeviendrons grand feu

Souvenirs de corps

Ça s’agite dans mon corps, grognements, fourmillements, sifflements, contractions. Il est prêt à partir au combat, mais contre qui ? Le seul danger dans cette histoire, le seul bourreau, c’est mon esprit. Au lieu de danser avec la vie, ce con là a décidé d’être en lutte. Du coup la carcasse suit le mouvement.

Le seul endroit confortable, le seul refuge pour eux semble le pays des souvenirs. Le présent tape trop fort ou sonne comme à travers du coton. Le futur s’élève à des hauteurs inatteignables, écrase avec son lot de questions sans réponses et sent déjà le roussit. L’odeur que j’aime moi, c’est celle de la nostalgie. Je pourrais passer des après-midi entiers à m’enfiler les cassettes mentales des épisodes précédents qu’ils soient heureux ou doux-amers. Les terribles, ceux qui font trop chialer, sont dans des espaces de stockage internes nécessitant d’y aller accompagné. Une fois la bonne pellicule trouvée, je déroule, j’analyse et savoure, enfin. Il m’arrive de rembobiner plusieurs fois pour tenter de comprendre et puis finir par réécrire ma propre histoire.

Le danger de ces petites séances de projections, c’est qu’en se complaisant dans ce re-jeu, je passe à côté des nouveaux souvenirs qui attendent là, dehors. Sans nouveautés, je risque alors de convoquer en boucle les mêmes histoires jusqu’à m’en rendre malade et leur faire perdre de leurs saveurs.

Alors cher corps, il serait temps de calmer le palpitant, de retrouver son souffle, de dénouer ses entrailles pour partir vivre un peu. Ne serait-ce que pour s’assurer d’avoir de la matière quand la saison de la mélancolie sera revenue. Accroche toi au printemps et malgré tout à ses promesses.

La poésie peut-elle sauver le monde ?

Récite ta poésie ! As-tu appris ton poème ? Le premier rapport à la poésie est dans l’enfance souvent celui de la contrainte. Les mots qui s’enchaînent ne font pas toujours autant sens que les contes et les histoires. Les maîtres.ses ont beau inviter à les illustrer, à les mettre en chanson, les poésies quand elles ne sont pas fables restent souvent des incantations. Il y a ceux qui excellent dans l’art de la récitation et qui deviennent à ce titre une gloire familiale et d’autres à qui échappent toujours un quatrain. Pourtant en poésie, point de compétition et peut-être que l’oubli d’une partie d’un poème en est déjà une sublimation.

C’est souvent aux premières heures de l’adolescence que la poésie entre vraiment dans nos vies. Ses rimes, son phrasé, sa cadence, sa complexité sont du baume au cœur et la porte ouverte vers un ailleurs pour ces nouvelles âmes. Les premiers textes composés sont d’ailleurs souvent des poèmes qui sont le langage de l’être, du devenir au monde. Quand tout est flou, confus, complexe, lorsque l’avenir est incertain ; la poésie par sa forme quelque peu mystérieuse permet d’avancer. Tel un magicien, un peintre, un savant cuisinier, allongée sur mon lit j’assemblais adolescente des mots. Il suffisait que le stylo touche le cahier pour que l’alchimie opère. Noms, verbes, adverbes, adjectifs et autres conjonctions de coordination devenaient alors des formules aux grands pouvoirs. Coucher ces quelques mots sur le papier, les voir se matérialiser, entrevoir leur beauté et savoir qu’ils nous racontent bien plus que l’on ne le pense, qu’ils nous mettent à nu, tout en restant finalement suffisamment obscurs, comme s’ils n’avaient pas complètement levé le voile de la vérité.

Voilà l’effet cathartique de l’écriture poétique.

Puis le nuage de doutes qui entoure l’adolescence se lève. Se forment alors des certitudes qui, si elles permettent d’avancer, rendent la connexion avec la poésie plus difficile. La quête de l’utilité commence et avec elle l’envie de construire son avenir. L’ère « adulte » s’ouvre. Les mots doivent avoir un sens, leur arrangement former un propos construit et la lecture doit avoir un objectif précis. Les assemblages, les jeux, les images, les assonances, perdent alors de leurs pouvoirs. Ce ne sont plus les idées qui sont obscures, mais les poèmes qui nous deviennent opaques. Nous nous trouvons bien naïfs d’avoir noirci tant de cahiers de vers, de rimes et d’espoir. L’aspiration est désormais celle du roman, avec sa trame narrative qui nous fait croire que l’existence serait un enchaînement de causalités conduisant à une suite logique d’événements et, évidemment, à une fin hautement désirable. Ah le romantisme, celui qui nous fait croire que l’on peut avancer dans la vie selon un canevas bien dessiné, puis une péripétie arrive et chamboule toute l’histoire. C’est alors que l’on prend conscience des limites de la narration.

C’est là, dans l’incertitude de l’existence, dans les périodes de crise, quand plus rien ne semble tenir, que la poésie revient. Comme une nécessité, comme la seule manière de comprendre l’incompréhensible, comme une prière de reconnaissance pour le précieux des petites choses. Les poèmes reviennent dans nos vies quand toutes les certitudes ont été déconstruites et lorsque derrière les masques se révèlent de nouveau l’âme de l’enfant qui sommeille en chacun de nous. Quelques mots pour consoler des plus grands chagrins. Dans les grands bouleversements, il y a peu de choses que l’on puisse faire, il y a peu de peines qu’un poème ne puisse consoler. Chagrins d’amour, disparitions de proche, échecs, questions existentielles, tout dans le poème permet de trouver des réponses ou plutôt de ne plus en chercher activement. La puissance du poème, c’est comme la puissance d’un tableau en comparaison à la photographie. La poésie laisse dans les interstices libres du vers, toute sa place au vagabondage de l’esprit. Le poème ne devient pas tant dans l’action de son auteur, que dans la libre interprétation qu’en fait son lecteur. Tout devient alors possible, manger un pied, remplacer un mot, oublier un quatrain, quand nous lisons ou murmurons un poème.

Lorsque le monde semble perdre pied, que tous les exercices de rationalité semblent vains, la plume du poète vient réordonnancer l’univers. Cette plume refait du lien là où la beauté et l’amour avaient été effacés. Elle se fait aussi arme de résistance contre la froideur d’un droit rédigé par une minorité ou d’une plume acerbe utilisée à l’encontre de la fraternité. Pour écrire des poèmes, il n’y a pas toujours besoin d’encre, car la poésie c’est surtout un regard porté sur le monde. C’est voir dans l’infiniment modeste, dans le petit, dans le quotidien, la beauté de l’être, l’esthétique du rien qui donnent pourtant à chaque seconde son importance.

À l’heure de la performance, des conditions générales de vente imposées, des mails à traiter, des bouleversements qui s’opèrent… lire, écrire et vivre des poèmes, apparaît comme le plus grand acte de résistance, de courage. Qu’ils soient haïku, alexandrin, en forme libre, ou pièce de théâtre, les poèmes par leur simplicité, vacuité et beauté sont devenus d’autant plus nécessaires. Nous ne sommes pas nés pour être seulement utiles et productifs, l’expérience d’être sur Terre, d’être au monde, est aussi une expérience plus spirituelle. La beauté des poèmes permet de se reconnecter à sa présence au monde.

Il en faut du courage pour écrire des poèmes, il en faut des poèmes pour se donner du courage, sans courage point de poèmes. Pour accompagner ces heures nouvellement libérées de quelques poèmes je vous glisse ici les recueils qui m’ont récemment le plus touchés :

  • Il y a le monde, d’Alain Serres, qui est en si peu de page l’histoire d’une vie pleine d’aventure et de cœur et dont les vers parleront aux plus jeunes comme aux plus grands.
  • Enfin le royaume, de François Cheng, dont les vers empreints de spiritualité et d’optimisme donneront matière à penser nos expériences contemporaines. « Car vivre / C’est savoir que tout instant de vie est rayon d’or / Sur une mer de ténèbres, c’est savoir dire merci ».
  • Bright star, de John Keath, comme une méditation et une invitation à nous rapprocher de la nature.
  • Le plâtrier siffleur, de Christian Bobin qui par la singularité de son regard au monde nous permet de voir la poésie dans chaque choses et invite à retrouver de l’estime dans les actions du quotidien.

Départ gare de Metz

Comme un cadeau, elles flottent dans l’air, quelques notes de piano qui réconfortent les voyageurs, les petits matins de départ ou les soirs d’arrivées après de longs voyages. Les artistes de quelques instants se succèdent, jeunes enfants venus faire leurs gammes, amis se lançant des défis, un homme qu’on croyait là pour faire la manche, la femme d’affaire avant de partir au travail. Ils ne jouent pas à guichet fermé, pour autant des milliers de spectateurs sont là. Ils ne jouent que pour eux, des petites notes et de beaux accords pour rendre le quotidien moins gris et incertain.

Lui donner rendez-vous et l’embrasser sous la statue de Jean Moulin, dans cette poignée de secondes, s’incarne tout ce que cette gare représente pour moi, un nouveau souffle, un élan de liberté.

Peu importe si les couloirs sont sombres, les amoureux trouveront toujours refuge, joie de l’attente et consolation face aux départs dans tes murs épais, témoins des plus sincères histoires. Tu as des petits airs de glaive planté dans la terre et tu te la joues plus belle gare de France. Tu le mérites c’est sûre, la belle gothique. Celle qui t’a précédée n’avait pas ton faste, ni ta carrure, alors que toi dans tes entrelacements tu tiens toute la complexité de ce territoire nourri et bouleversé par cet héritage franco-allemand. J’aimerais bien un jour visiter ton lanternon et y apercevoir de loin la cathédrale et peut-être de l’autre côté le Centre Pompidou. Je te promets de ne pas attendre, comme j’ai attendu pour visiter le toit de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. C’est une erreur de se dire avec vous, les vieilles pierres, qu’on a tout le temps devant nous pour vous visiter. Vous étiez là avant nous et nous vivons ainsi dans l’illusion que vous nous survivrez, alors qu’une flamme, un tremblement et vous voilà reléguées à la carte postale souvenir dans les fonds d’archives patrimoniales.

Tu es de ces personnages, dans la vie, ces adjuvants dans la trame narrative, dont on ne sait plus tout à fait à quel moment ils sont rentrés dans l’histoire. Mon premier souvenir de toi n’est pas si lointain et pourtant il appartient déjà à une autre époque, celle où l’on pouvait parcourir la France en train de nuit, ballottés et bercés sur des centaines de kilomètres pour atterrir au matin sous un autre ciel et toujours l’espérer, sous un autre soleil. La généralisation du TGV et l’arrivée des lignes à bas coût leur a fait du mal à ces villages éphémères mobiles.

Je suis arrivée Gare de Metz fin août 2010 avec quelques affaires et ma mère, pour partir emménager à Toulouse et y commencer mes études. Places assises et non couchées, changement à Montpellier, dos douloureux et sommeil impossible malgré les bouchons d’oreille et le masque sur les yeux. Tu es la gare des nouveaux départs, de ces sauts vers l’inconnu. A l’arrivée m’attendait une vie toute neuve et un avenir à construire. Pour ma mère-louve, cela marquait la fin de quelques chose, elle avait su accompagner son petit louveteau vers l’indépendance, la suite de l’histoire, c’était désormais à elle de l’écrire.

Prendre le train c’est partir à l’aventure, c’est se laisser guider par un autre, vers une destination que l’on souhaite meilleure. C’est aussi parfois se laisser tellement transporter par le moment présent, que la destination anticipée ne se trouve pas être celle vers laquelle on se dirige. Entre toutes tes voies, j’y perds parfois un peu mon latin et un soir d’hiver alors que je voulais effectuer le trajet Metz-Thionville, je me suis retrouvée dans le TGV partant sur le chemin inverse. Il suffit parfois d’un train en retard annoncé sur la même voie qu’un train déjà à quai, pour faire d’un soir de semaine anodin le début d’un scénario rocambolesque. Cette histoire n’aurait jamais pu arriver si j’avais pris ma voiture. Certes j’aurai pu me perdre à la sortie de l’autoroute ou alors vouloir emprunter les routes de campagnes et me perdre entre Rombas et d’autres charmantes bourgades en « -ange ». Mais là, grâce à la magie des rails, à l’humanité des contrôleurs et au grand cœur de mon amie un mardi soir à 20h je partais pour Paris.

Les gares, ces endroits où il est donné de rentrer dans la vie des gens, de découvrir ces petits moments de vie. Gare de Metz, train TER direction Nancy, au pieds de l’escalator un jeune homme et une jeune femme, les yeux rougis, ils pleurent, un collier souvenir d’un amour que l’on appellera bientôt passé, est rendu, le contrôleur annonce le départ imminent du train. Ils se séparent, la voie 7 ne leur aura pas portée bonheur. Elle part, il reste, il prends le couloir pour sortir de la gare en noyant son regard dans la succession de pixels sur son écran de téléphone. On vit tous cette rupture, la gare n’offre que peu d’abris pour ce genre de moments, nous sommes tous là à partager ces moments de vie avec eux. Les gares nous rappellent que sur les rails de l’existence, on est finalement tous bien similaires. Qui n’a pas vécu de séparation larmoyantes sur les quais, qui n’a pas retrouvé un amour attendu pendant de longues semaines à la sortie d’un train, qui n’a jamais vidé toutes les larmes de son corps assis sur son siège la tête appuyée sur la vitre du train ?

Je n’imaginais pas qu’après avoir avalé des milliers de kilomètres en train, je reviendrais à toi qui m’a servie de point de départ. Des gares, ici et ailleurs j’en ai vu, j’en ai aimé des belles et des lointaines, mais voilà le billet pris devait prévoir un jour, un retour. Tu es devenue aujourd’hui ma plus belle armure. Tu rends possible le fait de ne pas vivre où je travaille et m’offres ainsi une prise de distance, une protection. Tu me permets d’avoir une vie a moi, d’avoir 27 ans et de vivre l’inconséquence de mon âge.