Lettre d’enfance #2

Une invitation à la compassion et à l’espérance

Contenu initialement posté sur Substack FLORIANE-MARIELLE JOB

Cette semaine, je vous propose une petite invitation à la compassion et un conte de ma plume.

Pensée

Avant j’avais des principes, maintenant j’ai un enfant. La petite enfance met à l’épreuve ma résistance au changement en m’apprenant à naviguer avec le courant.

La parentalité est une période de transition intense qui rend si évidente la différence entre mes attentes et la réalité. Je suis partie pour ce grand voyage armée de mon amour pour mon conjoint et de mes valeurs environnementales et sociales. J’avais en tête tout un panel de choses à faire : les couches lavables, le batch-cooking de petits pots, la diversification alimentaire menée par l’enfant, la motricité libre, le portage physiologique, les approches montessori et la naturopathie. Mais voilà le résultat après N+1 : notre fille est née dans des circonstances théâtrales nécessitant l’usage immédiat d’une batterie d’antibiotiques. Nous avons opté pour des couches jetables, des lingettes, le sopalin et même des petits pots bio du commerce. Nous avons également acquis un parc, un transat et même un porte-bébé préformé. Pour couronner le tout, je me retrouve à faire des Facetime avec ses grands-parents. Même pour quelqu’un comme moi, habituée à la danse classique, c’est un bel exercice de grand écart. Et ce n’est pas toujours facile de naviguer au quotidien entre l’image du parent que l’on aurait voulu être, celui que l’on pensait devenir, et celui que l’on est vraiment, surtout quand le mode survie s’enclenche.

Pour ma part, le mode survie a débuté après un mois de nuits foutues en l’air par un bébé effrayé dans ce nouveau monde, réclamant lait et chaleur humaine. Je n’en suis pas encore sortie ; pourtant, chaque jour m’oblige à composer avec mes propres attentes et la réalité, apprenant à nager avec le courant plutôt qu’à m’épuiser à vouloir le remonter. Je ne souhaite pas que ce contenu devienne aliénant pour ceux sans enfants, par choix ou par circonstance. Je profite donc de l’occasion pour ajouter que ce ressenti n’est pas propre à la parentalité, mais qu’il nous traverse universellement lors des grandes transitions et changements de vie.

La grande vague, Cette, 1857, photographie de Gustave Le Gray

Alors que je m’évertue dans mon travail à accompagner le changement et à faire percevoir ses vertus aux plus réticents, cette expérience personnelle m’a fait réaliser que je détestais cette période d’instabilité, de remise en question et de transformation, me poussant à devenir le contraire de moi-même. Je continue de croire qu’une fois sortis du mode survie, je pourrai renouer et intégrer mes valeurs plus subtilement dans mon quotidien et dans l’éducation de notre fille, même si je peux encore me tromper. Quoi qu’il en soit, cette période de grande transformation m’a appris à être plus compréhensive et flexible face aux défis que peuvent traverser les autres. Petits ou grands, ces changements nous mettent à l’épreuve, nous fragilisent, nous rendent ductiles. Mais j’espère encore qu’ils nous permettront de devenir meilleurs et plus sages.

Histoire 

Un conte abécédaire pour nous inviter à célébrer les mots, la solidarité et la diversité. 

Ce matin, tu t’es réveillé et tous les mots avaient disparu. Dans les bouches, les journaux, sur les enseignes et dans les livres, il ne restait même pas leurs ombres.

Pour toi, qui chéris tant les histoires et les doux mots des gens qui t’aiment, cette disparition était un drame.

Alors, tu t’es souvenu, dans ta tête, à travers quelques images, d’un conte que te racontait ta grand-mère : au-delà des montagnes, existait une vallée où fleurissaient les lettres. Sans lettres, point de mots. Peut-être là-bas trouverais-tu une explication, voire une solution, à la tristesse grandissante des gens privés de mots.

Tu as rassemblé quelques affaires, des vivres, et appelé ton chien pour qu’il t’accompagne. Puis, tu as pris la direction du Nord. Il a fallu te fier à la mousse aux pieds des arbres, car même sur les cartes, toutes les indications avaient disparu. La marche, les intempéries, la solitude, tout cela ne te faisait pas peur d’habitude. Mais là, sans pouvoir parler à ton chien, chanter pour te donner du courage, ou murmurer une pensée pour les personnes que tu aimes, tout semblait plus difficile.

Le silence, voilà ce qui a rythmé ton voyage. Des kilomètres de plaines ont fait place à la forêt, et c’est là que tu as entendu quelque chose pour la première fois : le chant d’un oiseau. C’était si beau qu’une larme a roulé sur ta joue. Tu as alors compris que les notes de musique, elles, n’avaient pas disparu. Tu t’es mis à siffler une belle mélodie, puis tu as souri pour la première fois depuis le début de cette aventure.

Après la forêt, il y a eu le froid des sommets. Tu as même cru apercevoir un léopard des neiges. Une fois la montagne franchie, tu t’attendais à retrouver le ciel bleu et la chaleur des rayons du soleil. Mais plus tu descendais vers la vallée, plus il faisait sombre et glacial.

Tu t’enfonçais dans un épais brouillard couleur de nuit. T’étais-tu trompé de chemin, ou bien les histoires que te racontait ta grand-mère n’étaient-elles que des légendes ? Fatigué, découragé, tu finis par t’endormir au pied d’un arbre, ton chien blotti contre toi pour vous tenir chaud.

Dans ton sommeil, ta mamie te rend visite. Tu vois son sourire et son regard qui inspire confiance. Dans ce rêve, c’est comme si elle t’envoyait des réponses à tes questions. Au matin, tu te réveilles toujours dans cette épaisse brume, mais au moins tu sais quoi faire.

Tu es au bon endroit. Dans quelques mètres, ce sera la vallée des lettres. Tu comprends aussi qu’avec cette pénombre et ce froid, les lettres ne doivent plus pouvoir pousser. Qu’est-ce qui a bien pu conduire à ce changement climatique ? Cela, tu l’ignores, mais tu sais qu’il te faut préserver les graines lettres si tu veux que les mots reviennent.

Un véritable désastre s’étend devant tes yeux. Là où tu aurais dû t’émerveiller devant d’innombrables fleurs-lettres de toutes les couleurs, tu n’as devant toi que des plantes fanées et grises. Alors, méthodiquement, tu te mets à récolter les graines cachées dans les lettres mortes : A, B, C, D, E… Tu parcours tout l’alphabet avec minutie, préservant dans de petits sacs en tissu les derniers fragments d’espoir pour sauver les mots.

Ici, la nature est devenue trop triste. Il faudra planter les fleurs-lettres ailleurs. Peut-être que la vallée était trop éloignée du village, et les gens ont oublié de prendre soin de l’environnement ? À ton retour, tu confieras chaque graine de lettre à un habitant qui devra en être le gardien. Ils devront veiller sur leur fleur-lettre pour assurer que les mots continuent à croître et à s’épanouir.

Collection RNN

Tu te mets en route, les petits sacs de graines serrés contre ton cœur. Ton chien et toi, vous avez presque le sourire aux lèvres. Lorsque tu arrives au village, tu cours vers la maison de tes grands-parents. Mais pas le temps de les prendre dans tes bras, tu te précipites vers la remise où tu rassembles tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un pot de fleur. Une fois que tu as réuni vingt-six pots, tu les remplis de terre avant d’y planter les graines de chacune des lettres de l’alphabet. Avec un vieil arrosoir en fer, tu verses un peu d’eau dans chacun. La prochaine étape ? Confier chaque fleur-lettre à un villageois.

La première personne à qui tu penses, c’est celle sans qui rien n’aurait été possible : ta grand-mère. Tu cours dans sa cuisine, déposes le pot contenant la lettre A au bord de la fenêtre baignée de lumière, puis tu vas l’embrasser tendrement. Elle te regarde, les yeux pétillants. Vous le savez tous les deux, deux mots viennent de renaître : aimer et audace. L’amour, parce que c’est le sentiment que vous partagez ; l’audace, parce que c’est la force qu’elle t’a donnée.

C’est ainsi que tu as compris que pour faire revenir les mots, il ne fallait pas seulement sauver les fleurs-lettres. Les gens devaient aussi donner du cœur et transmettre leurs valeurs pour que le langage revienne. Tu commences alors le tour du village pour poursuivre ta mission. Ton chien tire fièrement derrière lui une petite charrette où tu as placé tous les pots.

Tu t’arrêtes d’abord à l’école, où tu retrouves ta maîtresse qui, malgré tout, s’occupe des enfants en communiquant par des dessins et en sifflotant. Lorsqu’elle reçoit le pot de fleur lettre B, le mot bienveillance apparaît.

En chemin, tu croises une infirmière qui navigue de patient en patient, faisant preuve d’intuition pour comprendre les maux des malades. Elle veillera sur la fleur lettre C. Son grand cœur et son sens du service font renaître le mot courage.

La prochaine porte à laquelle tu frappes est celle d’un avocat, défenseur des gens du village. Derrière lui, sa petite fille tient une baguette magique qu’elle a fabriquée elle-même. Lorsque tu leur tends les lettres D et E, apparaissent les mots droiture et émerveillement.

Tu passes ensuite à la bibliothèque, où tu trouves la bibliothécaire animant un théâtre d’ombres faute de pouvoir lire des histoires aux enfants. Tu poses la fleur lettre F sur le bureau d’accueil et l’énergie du lieu fait éclore le mot fraternité. Tu remarques aussi deux parents qui sont famille d’accueil pour des enfants dans le besoin. Tu leur confies les fleurs lettres G et H, et leur présence fait renaître les mots gratitude et hospitalité.

En chemin vers la place centrale du village, tu passes devant un café où un artiste et un philosophe sont attablés, tentant de refaire le monde comme avant. Tu apportes les fleurs lettres I et J et grâce à eux reviennent l’innovation et la joie. À côté, l’échoppe d’un potier japonais expose de magnifiques bols en céramique, certains recollés à l’or fin. En faisant un petit salut traditionnel japonais, tu lui confies la fleur lettre K et le mot qui apparaît est kintsugi, symbole de son travail.

Collection RNN

Arrivé sur la place du village, tu t’aperçois que de nombreux habitants sont sortis de chez eux et se rassemblent comme pour t’attendre. Sans doute t’ont-ils vu parcourir la ville. Cela tombe bien, penses-tu, tu as encore beaucoup de pots dans ta charrette. Les villageois curieux s’approchent de toi et tu commences à distribuer les pots.

Un chef d’entreprise prend la fleur lettre L et le mot leadership, symbole de son engagement à diriger ses équipes, renaît. Un ingénieur permet au mot maîtrise d’apparaître en acceptant de s’occuper de la fleur lettre M. Une mère et son enfant approchent pour prendre les fleurs lettres N et O. Leurs yeux pétillent quand apparaissent les mots nouveauté et optimisme.

Il te vient alors l’idée de prendre soin toi aussi d’une fleur lettre, pour ressentir ce que tu as vu émerger chez chacune des personnes acceptant un pot. Tu choisis la fleur lettre P et tu sens monter en toi une chaleur et une joie qui font éclore dans ton esprit et pour tous le mot persévérance. Cela te ressemble finalement bien.

Un vieux médecin chinois, accompagné de ce qui semble être son patient, s’avance. Après avoir pris dans leurs bras les pots des fleurs lettres Q et R, les mots Qi pour l’énergie vitale en chinois et résilience pour la force de dépasser les épreuves, apparaissent.

Les personnes continuent d’affluer sur la place, et un agriculteur, accompagné de sa vache, s’approche de ta charrette pour prendre la fleur lettre S. Comme son métier l’oblige à soutenir tous grâce à la nourriture qu’il produit, le mot soutenir apparaît.

Toute une équipe de bénévoles d’une association d’aide aux plus démunis s’approche. Leurs grands cœurs ne peuvent rester insensibles à la mission que tu proposes. Ils s’emparent des fleurs lettres T, U, V, W et X. Pas forcément les lettres les plus utilisées, mais elles pourront compter sur leur vigilance. Les mots tolérance, unis, volontaires, woke et xénophile renaissent alors.

Il ne reste plus que deux pots, et ta mission sera accomplie. Un professeur de yoga et un moine bouddhiste s’avancent pour prendre les fleurs lettres Y et Z. Comme un cycle qui se termine, les mots yoga et zen reviennent.

C’est alors qu’une grande bourrasque de vent balaye la place, emportant avec elle les pollens des fleurs lettres et permettant de faire renaître partout, dans les livres, sur les enseignes et dans les bouches, les mots qui vous avaient tous manqués. Les gens parlent, crient, rient et chantent. Tu avais presque oublié la joie que procure cette joyeuse cacophonie.

Tu es conscient qu’il ne faut pas s’arrêter là, qu’il faut expliquer ce que tu as vu et alerter sur l’importance de prendre soin de la nature et des fleurs lettres pour éviter que cette catastrophe ne se reproduise.

Les gens t’écoutent d’un air grave, comprenant l’importance de ce qui se joue. Avec tous les villageois, vous décidez de définir un abécédaire des grandes idées qui devront guider votre action pour préserver votre environnement. D’où viennent les mots qui composent cet abécédaire ? Évidemment, ce sont les premiers qui sont réapparus lorsque tu as réussi à sauver les fleurs lettres : les 26 mots du courage et de la renaissance du langage.

A – Amour B – Bienveillance C – Courage D – Droiture E – Émerveillement F – Fraternité G – Gratitude H – Hospitalité I – Innovation J – Joie K – Kintsugi L – Leadership M – Maîtrise N – Nouveauté O – Optimisme P – Persévérance Q – Qi R – Résilience S – Soutenir T – Tolérance U – Unis V – Volontaires W – Woke X – Xénophile Y – Yoga Z – Zen

Je vous remercie de votre lecture, n’hésitez pas à me faire vos retours et à partager ces textes ! Je travaille à terme à mieux illustrer ces publications.

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