Lettre d’enfance #3

Où je partage mon dilemme sur les sacrifices faits par amour et un manuel de survie pour mieux communiquer avec les humains petits et grands.

Publication initiale sur la plateforme de newsletter Substack.

Pensée

Je dois vous faire une confession : ces dernières semaines, je me suis plongée avec délectation dans l’univers enchanteur de la saga Bridgerton. Bien que cette série, qu’elle soit lue ou visionnée, suscite des interrogations quant à ses représentations normatives du mariage, de l’intimité et de l’orientation sexuelle, elle m’a offert une échappatoire réconfortante, particulièrement salutaire face aux défis quotidiens tels que les poussées dentaires de mon enfant. Parmi ses nombreux attraits, l’un des plus marquants est sa capacité à aborder de grands thèmes humains, notamment le sacrifice que nous consentons souvent par amour pour nos proches.

Aimer, que ce soit en tant que parent, frère, sœur, amoureux, ami ou enfant, transforme profondément notre être. Cela nous pousse à nous décentrer, à privilégier les intérêts de l’autre au détriment des nôtres, à projeter des sentiments positifs et empathiques sur ceux que nous chérissons. Il n’est pas nécessaire de rappeler les prouesses physiques auxquelles les parents sont prêts pour protéger leurs enfants afin d’illustrer cette capacité à se dépasser pour autrui.

Dans le deuxième tome de la saga Bridgerton, le vicomte Anthony, aîné de la fratrie, fait une série de choix dictés par le devoir, croyant ainsi agir pour le bien de sa famille. Cependant, ce chemin décisionnel menace de le conduire au malheur. Il faudra toute la bienveillance de sa mère et de sa sœur pour lui faire comprendre que ces arbitrages sont loin de rendre service à ses proches et le rendent lui-même profondément malheureux.

Se sacrifier pour les autres est souvent présenté comme une voie noble. Faire passer autrui avant soi peut être gratifiant et valorisant, surtout pour les âmes charitables. En tant que mère, j’ai découvert en moi des capacités infinies à négliger mes propres besoins, plaçant ceux de ma fille en priorité absolue. Cette notion de sacrifice m’interroge car, avant d’avoir des enfants, je trouvais cet oubli de soi dérangeant, peu féministe, et fragilisant pour les femmes dans leur quête d’autonomie physique, intellectuelle, professionnelle, politique ou financière.

En s’oubliant, en se sacrifiant pour leur famille, j’avais l’impression que ces femmes perdaient de vue la cause de leur émancipation, qu’elles se rendaient vulnérables. En réalité, elles étaient plus fortes que moi. Peut-être que la nature est bien faite, et que ce dépassement de soi, lorsqu’on aime véritablement, est la force de l’humanité. Pourtant, quel rôle cet oubli de soi impose-t-il à ceux que nous aimons ? De la reconnaissance, peut-être, mais qu’a demandé l’être aimé pour se retrouver dans cette position ? Souvent rien, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes enfants.

Et quand cette reconnaissance n’arrive pas, l’auto-sacrifié se retrouve avec son amertume et ses regrets, distillant des remarques empreintes de rancœur : « Je n’ai pas pu faire ceci ou cela à cause de toi », « Si tu peux faire telle chose, c’est parce que j’ai dû faire tel sacrifice ». C’est un fardeau lourd à porter pour les enfants, qui ne comprendront ces actions que lorsqu’ils seront eux-mêmes confrontés aux mêmes dilemmes.

Dans l’atelier de l’artiste Henry-Marius Petit, auteur de la statue Hommage aux mères françaises inspirée par l’auteur messin Louis Forest

Faire passer l’autre avant soi lorsqu’il est plus vulnérable est une noble cause en situation de survie, mais un poids bien lourd au quotidien. Alors, que faire si cette posture n’aide pas l’enfant ? Les théories de développement personnel et la psychologie prônent de se connecter à ses propres besoins et de s’organiser pour pouvoir les combler à coup de compromis et de billets. Mais savoir ce à quoi l’on aspire quand son monde intérieur et ses capacités physiques ont changé relève du défi.

Ma liste des priorités est assez claire : ma famille, ma santé et ma créativité. Lorsqu’il me faut faire des arbitrages, c’est toujours cette priorité numéro un que je privilégie. Mais jusqu’à quand et comment savoir si l’on est allé trop loin par un sens du devoir mal calibré ? Jamais je n’ai demandé à ma mère de se sacrifier pour moi, et pourtant, je sais bien que sans ses choix faits par amour, mon chemin n’aurait pas été le même. Chaque jour doit-il être une danse un peu folle pour équilibrer toutes les priorités que l’on s’est fixées ?

Ma réflexion du jour n’apporte guère de réponses définitives et invite plutôt à une introspection quotidienne pour analyser les origines de nos inclinaisons. Si les actions entreprises sont motivées par le désir de reconnaissance et la valorisation extérieure dans le rôle de “bon parent”, alors peut-être qu’un réajustement est nécessaire. Si, au contraire, nos actions sont dictées par nos valeurs propres et parce qu’elles sont importantes pour nous, même si cela implique de prioriser l’autre, alors ces options semblent plus saines. Cela n’empêchera certes pas de se tromper par amour, mais permettra peut-être de sortir de la posture de l’être aimant qui s’est sacrifié pour, et devenir plutôt l’être d’amour qui agit selon son propre compas de valeurs.

À chaque décision majeure qui me conduit à mettre mon propre confort à l’épreuve, je sonde mon cœur pour en connaître l’origine. J’aspire à me dire : « Je fais cette action car il est important pour moi d’être présente pour ma fille, de lui offrir sécurité et disponibilité, parce que c’est la personne que je souhaite être. » Tout cela, en essayant de ne plus oublier mes propres besoins essentiels. 

Lecture 

Je découvre avec joie le plaisir d’avoir une enfant capable d’exprimer ses besoins alors qu’elle n’a qu’un an. Elle a sans doute atteint un niveau de développement personnel bien supérieur au mien (vive les nouvelles générations), que je ne veux pas étouffer dans l’œuf. Cependant, j’aspire aussi à mener une existence équilibrée et à lui offrir des repères stables pour se construire et surtout pas à courir tous les soirs après un bébé qui pleure. Dans ce paysage complexe et mouvant, qui semble se recomposer tous les jours pour elle comme pour nous, le guide qui m’accompagne en ce moment est la version pour les tout-petits de l’approche d’Adèle Faber et Elaine Mazlish : Parler pour que les tout-petits écoutent : Un guide de secours pour le quotidien avec des enfants de 2 à 7 ans par Joanna Faber et Julie King.

Cet ouvrage déculpabilisant, didactique et illustré aborde de nombreux cas concrets de gestion des émotions, des conflits et de la sensibilité chez les enfants. Chaque chapitre propose des outils concrets pour établir une communication efficace, adaptée et ludique avec ses enfants afin de surmonter les conflits du quotidien. Les autrices partagent leurs propres échecs et encouragent à mener des échanges, formalisés ou non, dans des cercles de paroles, sur les astuces mises en œuvre pour améliorer la communication avec les enfants.

C’est un ouvrage formidable, une approche qui fait sens pour moi, et je suis très reconnaissante envers l’amie qui m’a fait découvrir cette méthode. Je me permets donc de passer le mot et ce qui est merveilleux c’est que les principes de communication sont également déclinable à destination des adultes ! 

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