Il semblerait bien que ce soit toi qu’elle regarde. Toi au cœur de cette foule. Des yeux immenses, ça dessine comme des soleils avec ces cils infinis. Tu ne t’es jamais senti autant vu de ta vie, c’est quelque chose qui dépasse le simple croisement de regards. Tu doutes pourtant. Elle ne peut pas vraiment s’intéresser à toi, franchement tu ne le mérites pas, non ? Tu essayes de poursuivre la conversation commencée avant que ces deux immensités ne se posent sur toi. Voilà qu’elle te sourit, ça illumine son visage et ça semble vouloir dire « bienvenue, je t’attendais ». Derrière ton masque, celui en papier et les mille autres intangibles, tu lui retournes timidement ce signe de connexion, pas encore tout à fait convaincue. Cette question qui revient, pourquoi toi ? Si ça se trouve tu as un truc qui cloche sur ton visage qui appelle plus un rire, qu’un sourire.
Mais voilà qu’elle te tend les bras, à toi, levant tous les doutes. Elle est là avec ces yeux châtaigne magnifiques, sa peau porcelaine, son sourire plein de malice, son front balayé par une légère frange, et elle te tend les bras. Une manière de te dite « toi je te fais suffisament confiance pour m’abandonner au contact de ta peau ». Tu laisses tomber les masques, pour confirmer qu’il n’y a pas méprise ou confusion et lui rendre son sourire, le tiens plein de dents. Toujours ses bras et son envie d’aller vers toi. Tu n’as jamais fait ça, tu as souvent eu peur ou pas su comment accueillir. Depuis quelques mois pourtant tu as observé l’effet que ça pouvait faire de s’abandonner à l’instant, au pouvoir d’un regard.
Tu tends les bras et ce petit corps plein de joie quitte les bras de sa maman pour prendre place dans les tiens. Comme ça et ça paraît évident. Sentir la vie et le futur palpiter sous tes doigts met fin à toutes tes interrogations sur le monde, ne reste que la confiance et la sérénité. Elle semble bien, avec toi. Pourtant tu doutes encore, tu ne voudrais la priver de rien. Elle sait qu’elle n’a pas envie tout de suite de retrouver les bras refuge de celle qui est encore une extension d’elle-même. Vous vous colleriez presque, front contre front, à vous raconter les secrets de l’univers. A ce jeu tu paries qu’elle en sait déjà plus que toi. Saisir ces moments de pur bonheur, tu ne sais pas trop faire. Alors tu l’invites à regagner le confort du connu. Toi pour la première fois tu as été confronté à l’inconnu, à l’indicible aussi. Un petit geste d’au revoir puis tu t’éloignes. Tu sens encore dans tes bras, contre ton torse, dans ton cœur, le poids de sa présence, de la vie et de l’avenir. Avec la trace de ce poids dans le corps, tu repars en te faisant la promesse d’être à la hauteur pour que son demain et celui de tous les autres ne soit pas trop incertain.